manière indirecte, de la part du roi, de Soustraire quelque chose
aux Européens à cette occasion.
Après l’achat, venait, comme on l’a vu, la marque des esclaves.
L’instrument dont on se servait, à cet effet, était une lame d’argent
présentant son tranchant et contourné de manière à former,
en sens inverse, les lettres initiales ou les armes de la compagnie.
On la faisait chauffer à blanc, et après avoir passé du suif
sur 1 endroit destiné à recevoir l’empreinte, on mettait dessus un
papier mince huilé sur lequel on posait la marque. La chair s’en-
flait aussitôt, et après la guérison de la brûlure, les lettres désormais
ineffaçables apparaissaient en relief.
L endroit où l’on posait la marque différait selon les compagnies
; c était généralement le bras, l’épaule, le dos, l’estomac ou
la poitrine.
Les précautions sanitaires, indispensables à une grande réunion
d hommes dans un espace restreint, n ’étaient nullement observées.
En attendant que leur nombre fût suffisant pour un embarquement,
les esclaves étaient jetés dans des locaux étroits et
incommodes, avec la chaîne aux pieds. On leur donnait à manger
dans de grands plats contenant chacun la ration de sept ou huit
d entre eux. Le jour de l’embarquement, au nombre de cinq cents
environ, ils étaient conduits à la plage, et entassés dans la cale
ou l’entrepont du vaisseau négrier.
Les règlements de la Compagnie des Indes prescrivaient d’emporter
des tambours et des instruments indigènes pour les distraire
pendant la traversée. Il fallait les faire monter sur le pont
afin de prendre l’air dès qu’on aurait perdu les côtes de vue, et surtout
partir tout de suite après l’embarquement afin qu’ils puissent
quitter 1 entrepont. Mais ces prescriptions, ainsi qu’une foule
d’autres précautions sanitaires, n’étaient pas observées la plupart
du temps ; des maladies causées par la malpropreté, la raréfaction
de 1 air ou la mauvaise nourriture décimaient souvent les cargaisons.
Au lieu de leur donner une alimentation venant de leur pays, à
laquelle ils étaient habitués, on servait aux noirs des vivres avariés,
achetés au rabais sur les marchés d’Europe. Leur seule nourriture
consistait en grosses fèves bouillies avec un peu de sel oü quelque
farineux du môme genre. Ce repas, deux fois par jour et pendant
toute la traversée, était nuisible à beaucoup d’entre eux et causait
bon nombre de maladies.
A tous ces inconvénients dont souffraient les esclaves se joignait
une peur atroce de l’Européen; la plupart étaient persuadés
qu’ils allaient être mangés et qu’ils étaient emmenés comme
viande de boucherie.
Comme, parmi leurs tribus, il y avait des cannibales, ils trouvaient
tout naturel que les blancs eussent le même goût. Mais la
plupart d’entre eux ne pouvaient s’habituer à l’idée de servir eux-
mêmes aux repas. Aussi les cas de désespoir, suivis de suicide,
étaient-ils nombreux, et toute l’éloquence de l’équipage ne pouvait
lés persuader que ç’était un faux bruit répandu parmi eux.
Les chirurgiens du bord avaient l’ordre strict de cesser les études
qu’ils avaient l’habitude de faire sur les cadavres, car rien ne pouvait
mieux renforcer les noirs dans leur préjugé que de voir ouvrir
et disséquer le corps d’un de leurs semblables.
En arrivant en vue du nouveau monde ou de la terre où l’on se
rendait, les règlements prescrivaient encore de faire raser-les
esclaves, de leur donner de l’huile pour se frotter, d’augmenter
leur nourriture, de les faire danser et chanter, de les caresser, de
mettre enfin tout en oeuvre pour les tenir dans la joie.
Le commerce des esclaves était le seul qu’on fît à Whydah.
Il n’y avait ni or ni ivoire, ou du moins ils ne se rencontraient
qu'en très petite quantité. Le royaume fournissait à lui seul annuellement
une moyenne de vingt mille esclaves au minimum. Tout
le reste de la côte n’en donnait guère plus du double, ce qui
porte à deux millions pour la Guinée seulement le nombre de
noirs importés en Amérique oü ailleurs, de la fin du quinzième
siècle à celle du dix-huitième siècle. 8
L’esclavage, c’est l’histoire du Dahomey ; c’est la source de sa
grandeur, de sa réputation guerrière ; c’est le mobile de toutes
ses expéditions, heureuses ou malheureuses ; c’est la cause, mauvaise
aujourd’hui mais bonne autrefois, pour laquelle la nation
versa tout son sang sur les champs de bataille. Il n’y a pas un
Dahomien, peut-être, qui n’ait un ancêtre mort à la guerre. Les
colonies d’Amérique doivent en grande parlie au Dahomey leur
situation actuelle. Qui eût apporté la richesse, le commerce par
la culture, sans les esclaves? Les planteurs eussent-ils payé des
Européens pour le défrichement de millions d’héctares? Non, sans
doute, pas plus qu’ils ne soumirent le fier Indien, qui restera libre
jusqu’à l’extinction de sa race.
11 est impossible de parler de l’histoire du Dahomey sans s ar