L’une d’elles doit avoir été importée par les Arabes, car nous
l’avons entendu raconter par les Marocains d’une façon approchante.
« Au début, dit-elle, les hommes étaient tous noirs et tous égaux.
Ils se conduisirent si mal, se firent tellement la guerre, que le
grand fétiche les tua tous, sauf deux frères qu’il laissa avec leurs
femmes pour perpétuer la race. Un jour, pendant la saison sèche,
les deux frères cherchaient en vain de l’eau pour se baigner,
lorsque tout à coup une petite mare se forma devant eux. Elle
contenait si peu, si peu d’eau, qu’ils durent s’y baigner l’un après
l’autre. L’aîné y entra, et au fur et à mesure qu’il se baignait, il
changea de couleur et devint blanc. Lorsqu’il en sortit, il invita
son frère à venir faire également sa métamorphose. Mais l’eau
avait presque disparu ; il n’en restait qu’une si petite quantité
que, lorsque le cadet y eut trempé la pointe des pieds ét la paume
des mains, la mare fut entièrement desséchée. Il resta donc noir,
à l’exception des parties de son corps qui avaient touché l’eau. »
Tels auraient été, d’après cette légende, les pères des deux
races ; frères, mais différents désormais : l’un devait être heureux
et l’autré malheureux.
Une autre version est que blancs et noirs eurent à choisir, le
jour de la création, entre le pays de l’or et celui où on lit dam les
livres. Les nègres choisirent le premier, croyant que c’était le
meilleur, mais ils furent punis de cette ambition par lè Créateur,
qui donna aux blancs la force pour gouverner les noirs.
« Sans les femmes, dit la morale d’une troisième légende, tous
les noirs seraient heureux ; ils n’auraient pas à travailler aujourd’hui.
« Autrefois, dit cette histoire, le ciel était tout près de la terre,
on n’avait qu’à le toucher légèrement et l’on avait tout ce que l’on
voulait comme nourriture. Il suffisait de se baisser pour en ramasser,
et l’on vivait heureux. Un jour, une femme capricieuse
voulut piler du maïs ; c’était inutile à cette époque, puisqu’on
n’avait pas besoin de travail pour manger à sa guise. L’espace lui
manquant pour élever son pilon, elle dit au ciel : « Soulève-toi
« un peu », et le ciel obéit. Mais loin d’être satisfaite, elle insista
tellement qu’il remonta où il est resté depuis. Quand on l’appelle
maintenant, il n’entend plus et ne donne plus rien à manger.
« Comme suite à cette légende, on ajoute également que les
noirs voulurent atteindre quand même le ciel, malgré son éloignement.
Dans ce but, ils entassèrent les uns sur les autres, tous
les mortiers à maïs qui existaient dans le pays. Quand ils furent
tous superposés, il en manquait encore un pour toucher au but.
Ne pouvant le trouver, on s’avis ade retirer le premier du dessous
pour le porter au sommet. Mais dès qu’on y toucha, toute la colonne
s’effondra, enlevant la vie à tous ceux qui ne prirent pas la
fuite à temps. Ceux qui s’étaient sauvés, dans leur frayeur, se mirent
à parler des langues nouvelles et incompréhensibles. C’est pourquoi
il y a tant d’idiomes aujourd’hui, au lieu d’un seul qui'existait
autrefois. »
Les deux dernières légendes rappellent, sous une autre version,
le paradis perdu par la femme et la tour de Babel de l’histoire
sainte . Faut-il croire que la même idée a pu naître dans le cerveau
d’êtres humains différents, ou bien que l’une vient de l’autre?
C’est ce que nous ne pourrions dire. En tout cas, ces légendes ont
l’air d’être fort anciennes ; l'une d’elles, celle « du choix entre le
pays de l’or et celui où on lit dans les livres », a été entendue par
les plus anciens voyageurs.
Ces quelques exemples de croyances, pris au hasard dans les
différentes parties de la région, peuvent donner une idée de ce
que sont les autres à ce sujet. Il en existe ainsi un assez grand
nombre, toutes à peu près semblables, plus ou moins absurdes,
et tendant toujours à prouver que les hommes étaient plus heureux
autrefois qu’aujourd’hui.
Tandis que, sur le passé, ils n’ont aucune idée bien définie, ils
possèdent, au contraire, tout un système de croyances et de superstitions
sur l’avenir. Tls suivent l’homme, après sa mort, dans
une nouvelle vie qu’il doit traverser ; ils en connaissent tous les
détails et croient au dénouement qui l’attend selon sa conduite
et les prières qu’ils font pour lui.
Le noir a la conviction de l’immortalité de l’âme. Il sait que la
forme humaine est affectée seulement à la terre, qu’elle reste ici-
bas lorsque cette étincelle, qui s’appelle la vie, l’a abandonnée.
Mais il se fait néanmoins une idée d'une nouvelle forme simili-
humaine, non point éthérée ou immatérielle, mais possédant
encore les besoins de la première vie, et cependant autre que
celle sous laquelle il a vu celui qui n’est plus.
Son idée est que, au moment de la mort, l’enveloppe connue
dans ce monde reste comme seul souvenir de celui qui la quitte ;
il prend une nouvelle forme semblable et part pour un long, bien