Dahomiens à en finir, l’assaut fut tenté et les assaillants repoussés
avec perte. Glèlè feignit une retraite précipitée afin d’attirer les
ennemis hors de la ville. Les Egbas, en effet, recommencèrent la
poursuite ; mais, dès qu’ils furent dans un endroit convenable au
combat, les Dahomiens firent volte-face et leur tombèrent dessus
avec une ardeur doublée par le désir de venger l’échec reçu onze
ans auparavant.
Aussi, quoique affaiblis par l’assaut, ils infligèrent aux Egbas
des pertes nombreuses ; ceux-ci étaient moins habiles qu’eux à la
lutte corps à corps, et cette terre, qui avait été arrosée de sang
dahomien, fut, cette fois, couverte de cadavres egbas, si nombreux,
disent les Dahomiens, que leurs têtes rangées l'une après
Tautre fussent arrivées à Abomey.
11 n’y eut, d’ailleurs, victoire pour personne ; les agresseurs battirent
en retraite, moins vivement cette fois, mais laissant encore
un grand nombre de guerriers sur le champ de bataille, et en
ayant perdu environ trois mille faits prisonniers pendant l’assaut.
Les amazones avaient encore payé un gros tribut à l’ennemi ;
plus de deux mille d’entre elles restèrent pour toujours sous les
murs d’Abéokouta. Le premier au combat et le dernier dans la
retraite, Glèlè repartait, navré de n’avoir pu venger son père.
La pantoufle de Guêzou était restée à Abéokouta, où elle restera
longtemps encore. Tous les jours, l’armée dahomienne diminue
et celle des Egbas augmente, ce qui doit faire renoncer le Dahomey
à tout espoir de rentrer dans la possession du précieux objet.
On annonce pourtant chaque année, à Abomey, que l’expédition
contre Abéokouta doit avoir lieu l’année suivante ; mais ce n’est
que vaine forfanterie.
Aussitôt de retour, le roi voulut racheter ses sujets prisonniers,
et, dans ce but, il se mit à faire appel à toutes les ressources
pécuniaires que pouvait offrir le royaume, empruntant même de
l’argent aux Européens, auxquels il le remboursa intégralement
quelques années après.
Des ambassadeurs se rendirent à Abéokouta, dans le but de
proposer la rançon des prisonniers. Les Egbas en avaient déjà
vendu quelques-uns comme esclaves ; mais la plus grande partie
fut rachetée et ramenée au Dahomey.
La nomination du troisième chacha donna lieu à des dissensions
entre les Européens de Whydah. Dès la mort d’Isidoro da
Souza, Glèlè avait fait venir Agbâlai, veuve du premier chacha,
qui était à la tête de la famille, et l’avait priée de désigner un successeur
au deuxième vice-roi. Elle indiqua un cousin, Antonio
(surnommé Agbakou). Le roi nomma ce dernier; mais aussitôt ce
fut un concert de réclamations : les frères d’isidoro voulaient sa
place et les négociants refusèrent le nouveau vice-roi, disant que
n ’ayant jamais été au Brésil, il n’avait aucune idée des intérêts
de la plupart d’entre eux.
Le roi, voulant la paix, annula la nomination. La majorité
tomba d’accord sur l’aptitude d’ün autre cousin, Francisco J. da
Souza, et il fut nommé définitivement troisième chacha.
Francisco J. da Souza avait été chargé de ces fonctions à son
corps défendant. Paisible négociant à Agoué, il avait d’abord
demandé au roi de lui laisser sa tranquillité ; mais il ne put insister,
sachant qu’il se ferait un ennemi de Glèlè en refusant une de
ses faveurs.
Le troisième et le quatrième chacha furent complètement nuls ;
ils laissèrent prendre tous les jours plus d’influence aux autorités
indigènes.
A l’époque dont nous parlons, les yévogans1, supprimés (comme
attributions) depuis le roi Guêzou et la nomination du premier
vice-roi, avaient repris toute leur influence, et c’étaient les cabe-
çaires qui exerçaient les fonctions qui, en principe, devaient incomber
au chacha.
Le gros trafic était représenté, à Whydah, par deux maisons
françaises, Victor Régis et Gyprien Fabre, de Marseille, dont la
première était établie depuis l’année 1843, et par une factorerie
anglaise, Swansea and G0.
Les agents de commerce jouèrent, comme on le verra par la
suite, un rôle important dans les événements.
M. Lartigues, agent delà maison Régis, avait, au dire des indigènes,
été l’àmi intime du roi. C’est grâce à l’entremise des maisons
de commerce que nous avons pu, en 1831, signer avec le
Dahomey le premier traité de commerce et d’amitié.
La France confia d’abord aux agents de la maison Régis, puis
plus tard à ceux de la maison Fabre, les fonctions d’agent consulaire,
et ils se trouvèrent naturellement mêlés à tous les événements
de la politique extérieure.
1. Mot dahomien. Yévo veut dire blanc, é tra n g e r; gan, grand, c h e f:
yévogan, chef des blancs.