le brick Gaëtano P. , autrefois appelé la Sainte-Germaine lorsqu’il
appartenait à des armateurs français. Il était chargé de marchandises
appartenant à une des maisons de commerce établies sur la
côte. Le navire était mouillé en rade de Godomé. La nuit avait été
orageuse ; le matin, la barre était énorme. Un vent violent souffla
subitement du large, et le navire, chassant sur son ancre, vira au
cabestan pour se maintenir le plus loin possible de la côte. Il se
préparait à mouiller une deuxième ancre, lorsque la chaîne de la
première se brisa sous la violence du vent et des lames et le
laissa dériver vers le rivage, porté par le courant avec une rapidité
effrayante. On jeta une petite ancre qui mordit aussitôt le fond
et parvint à maintenir le navire, pendant quelques instants, à
100 mètres à peine des brisants, pris par le travers, ballotté par
les vagues et donnant les signes de la plus affreuse détresse. Une
embarcation fut mise à la mer afin d’aller mouiller au large l’ancre
de salut, la dernière sur laquelle on pourrait haler le navire.
Pendant que cette scène se déroulait en rade, des indigènes se
groupaient déjà sur la plage, prévoyant le dénouement du drame
qui se jouait devant eux. La foule grossissait, et en peu de temps
la plage fut noire de monde ; on attendait le navire du roi, car il
était déjà sa propriété, ayant peu de chances de se sauver.
L’infortuné bâtiment avait arboré ses signaux de détresse,
qu’un vapeur, passant bien loin au large, ne dut pas, sans doute,
apercevoir. Après quelques instants d’espérance, il perdit sa dernière
chance de salut; la chaîne se brisa avant que l’embarcation
eût pu établir un autre point de soutien, et l’équipage désespéré
vit le navire courir de lui-même à sa propre perte. Il put contempler,
à une proximité effrayante, les énormes volutes de la barre,
et du même coup d’oeil, cette noire cohue qui attendait sur la
plage un désastre inévitable.
Le navire arriva dans la barre à reculons et commença aussitôt
à talonner sur le fond. Au premier coup, le gouvernail et l’étambot
se disloquaient; au deuxième, ils se brisaient avec fracas. Le navire
s’entr’ouvrit ; les deux mâts, brisés par la secousse, s’effondrèrent
sur le pont, et en quelques instants le rivage fut jonché de débris,
de matériaux et de marchandises échappés aux flancs du Gaëtano
P. Tout l’équipage se jeta à la mer, et, porté par les vagues,
arriva sain et sauf sur la plage. Il y avait le capitaine, l’armateur
et sa femme, et huit ou dix matelots.
Les, Dahomiens se précipitèrent sur l’épave et sauvèrent tout
ce que contenaient les cabines et les parties non encore submergées;
tout fut rangé scrupuleusement sur le sable, ainsi que ce
que la barre apportait. Chaque débris fut ainsi ramassé, jusqu’au
dernier cordage.
Les grosses futailles d’alcool dont le navire était chargé étaient
rangées avec le reste, et pendant deux jours, les indigènes suivirent
le courant qui longeait le rivage, et sauvèrent jusqu’à la dernière
planche du navire.
Ni l’équipage, ni la maison de commerce, ne purent rentrer en
possession de ce qui leur appartenait. Le premier était pieds nus,
et avec les vêtements qu’il portait lors du naufrage ; ces pauvres
gens se rendirent à Porto-Novo, d’où ils furent envoyés à Lagos
pour être rapatriés.
Le roi envoya des milliers de porteurs au lieu du naufrage.
C’était une fourmilière ; tout, bâtiment et cargaison, fut transporté,
pièce par pièce, à la capitale, et, quatre jours après le désastre,
il ne restait pas une écoute, pas un clou du Gaëtano P. à la-plage
de Godomé.
Il est à remarquer que l’usage de piller les navires naufragés
existe sur toute la côte, mais, dans les autres pays, les habitants
ont leur part du butin. Au Dahomey, pas un homme n’oserait
garder le plus petit objet en pareille circonstance ; tout arrive
au roi, sans que personne ait eu seulement l’idée d’y toucher.
La superstition aide le gouvernement dans certaines parties de
son administration. Les Zangbétos1 qui sont, de fait, la police de
nuit, sont utilisés par les chefs afin d’assurer le calme dans les
villes. Ils ne sont plus en usage à Whydah, du moins à notre connaissance,
mais ils subsistent encore dans les autres localités. Us
apparaissent deux fois par semaine, à des intervalles irréguliers ;
c’est pendant la pleine lune qu’on les voit le plus souvent; la clarté
leur permet de se promener dans les rues avee facilité et d’être
vus, tandis que, pendant les nuits obscures, leur accoutrement est
embarrassant et inutile.
La paille de fermeture sert également aux représentants du pouvoir
à mettre, pour ainsi dire, les scellés sur quelque chose. Placé
devant une maison, une porte, une rue, un objet, ce léger emblème
du fétiche les défend mieux contre toute violation que les plus forts
Verrous et la garde la plus vigilante.
ii Voir au fétichisme, pi 232i