lerons, prit peu à peu, sur le roi Dan, un ascendant considérable.
Des cadeaux nombreux, des portions de territoire s’ajoutèrent à
ce qu’il avait obtenu en premier lieu du monarque, et celui-ci
finit par ne plus rien lui refuser.
D’un autre côté, Aho se rendait populaire parmi les sujets du roi
Dan, et il eut bientôt un grand nombre de partisans chez les Fons.
Le monarque ne mettant plus de bornes à sa bonté, l’aventurier se
fit de jour en jour plus exigeant. Le pseudo-prince d’Allada, venu
on ne sait d’où, voulait aussi avoir des ancêtres illustres à citer,
des conquêtes et des victoires à raconter ; d’accord avec quelques
courtisans qui lui étaient tout dévoués, il mit sur le compte des
anciens princes d’Allada des aventures extraordinaires, où, toujours
victorieux et chargés de butin, ses pères revenaient dans le
pays, acclamés et bénis par le peuple entier.
Le roi Dan laissait faire son favori; il savait que lès récits
d’exploits du prince d’Allada étaient imaginaires, mais il ne
prévoyait pas qu’un jour on y ajouterait foi, au détriment de son
prestige.
A force de répéter un mensonge, on finit par y croire, et Aho
lui-même s’imagina peut-être qu’il était réellement le descendant
d’une grande dynastie.
Il y a parmi les objets sacrés des rois fons, même aujourd’hui,
une cloche en fer', en forme de cornet, qui sert à proclamer, aux
grands jours, les gloires de la monarchie. Cette cloche ne peut
quitter le souverain; elle fait partie ûu trésor de la couronne;
personne autre que le roi ne peut s’en servir ; il 1 emporte dans
ses déplacements. C’est en quelque sorte l’attribut du pouvoir.
Un jour où, devant le peuple assemblé, Dan faisait raconter,
selon la coutume, l’histoire de ses ancêtres, la fantaisie prit à
l’aventurier d’entendre aussi proclamer les gloires fabuleuses des
princes d’Allada, dont il avait forgé l’histoire. Se penchant vers le
roi auprès duquel il était assis, il lui demanda effrontément la
cloche en fer dont nous venons de parler.
Accorder au prince d’Allada ce qu’il demandait, c’était d’abord
aller contre la coutume en prêtant un objet sacré que le roi seul
peut utiliser; c’était aussi sanctionner devant tout un peuple une
histoire qu’il savait fausse.
Cette fois, Aho avait dépassé les bornes ; il blessait non seuleI.
Cet objet se nomme gongan en langue indigène..
ment les usages, mais aussi l’amour-propre du roi, car il était
déplacé de proclamer chez les Fons les exploits de princes étrangers
et inconnus. Aussi, perdant patience, Dan lui répondit-il
devant l’assemblée :
« J ’ai derrière moi tout un passé de droiture et de gloire, tandis
que l’on ne sait pas d’où vous venez ; j ’ai combattu loyalement
pour l’indépendance de mon pays, tandis que vous avez semé partout
le meurtre, le pillage et l’incendie. Je vous ai accueillis chez
moi, vous et les vôtres, et ne vous ai refusé aucune des nombreuses
faveurs que vous demandez à chaque instant, espérant
vous voir ainsi suivre l’exemple du peuple fon, qui combat au
grand jour mais n ’assassine jamais dans l’ombre les femmes et
les vieillards. Je vous ai donné un territoire, à vous qui n’en aviez
pas; enfin j ’ai fait de vous mon frère et mon ami. Aujourd’hui,
vous me demandez un objet sacré que personne ne peut obtenir
que mon successeur; demain vous voudrez régner à ma place, et
bientôt vous {me demanderez mon ventre pour bâtir dessus votre
maison ! »
Aho ne répondit rien, mais il se souvint, comme on le verra
plus tard, de la réponse du roi des Fons. En attendant, il refoula
les rancunes au fond de son coeur, songeant qu’il n’était pas encore
assez fort pour accomplir ses projets, et il retira la demande qui
avait failli lui enlever l’amitié de Dan. •
Ce dernier oublia vite cet incident et les bons rapports continuèrent
entre les deux hommes comme par le passé, l’aventurier
poursuivant l’exécution des projets qu’il avait formés depuis
longtemps et pour la réalisation desquels il n’attendait qu’un certain
nombre de partisans. Il s’était allié secrètement avec tous
ceux qui, chez les Fons, avaient à se plaindre du roi, et il se fit peu
à peu le chef de ce parti qui allait en augmentant de jour en jour
et qui devait bientôt avoir le dessus sur l’autre.
Aho rêvait un grand royaume, des conquêtes sans nombre ; il
voulait une capitale qui fût digne de le recevoir avec ses richesses,
car l’ambition n’avait pas de bornes chez lui. Le petit territoire
du roi fon lui semblait mesquin, misérable; il ne comprenait pas
que Dan pût vivre ainsi sans convoiter le bien des voisins, sans
vouloir se l’approprier, sans au moins en tenter la conquête.
Le jour où il fut assez fort, il sé sépara de Dan et son parti le
suivit. Une scission s’opéra ainsi chez les Fons; ceux qui avaient
été frères devinrent ennemis, ceux qui avaient combattu ensemble