ils acceptent leur sort avec ce calme et cette résignation qui sont
propres au noir, et proviennent en grande partie de son manque
de sensibilité morale.
La colonne reprend le chemin par lequel elle était venue, et
comme tout ce que nous venons de dire se passe en une demi-
heure au plus, 1 ennemi est déjà loin lorsque le soleil éclaire cette
scène de désolation. Quelques malheureux blottis dans des toitures
ou dans des recoins, qui ont échappé aux recherches, sont les
seuls êtres qui animent ces ruines fumantes ; ils quittent l’emplacement
de leur village et vont chez les voisins les plus proches
raconter le désastre auquel ils ont survécu *. C’est ainsi qu’on
apprend ce qui s’est passé, car généralement pas un coup de
fusil n est tiré. Les lueurs de l’incendie mettent quelquefois les
villages voisins en éveil, mais ils savent qu’ils n’ont rien à craindre
ce jour-là. Ce n’est pas leur tour. Dès que le Dahomey est dans le
voisinage, toutes les populations, à Porto-Novo par exemple, fuient
immédiatement dans-la direction opposée, tant est grande la terreur
qu il inspire ; c est pour cela qu’il est obligé de se tenir fort
éloigné et de faire énormément de chemin pendant la nuit pour
surprendre les gens qui se croient en sûreté en raison du grand
rayon où aucun danger n ’est signalé.
Le soldat dahomien mène à la guerre une existence dure et
fatigante; il couche sur la terre sans rien pour se couvrir; le matin,
il se réveille trempé par une rosée aussi abondante que la pluie; dé
plus, il ne dort jamais son soûl. Marchant laplupartdu temps pendant
la nuit et se repliant pendant le jour, il a peu de temps à consacrer
au repos. Sa nourriture consiste.'en une poignée de riz deux fois
par jour, au lever et au coucher du soleil, rien de plus. Ses chefs
ne sont pas mieux traités que lui. Le roi seul voyage avec tout le
confort auquel il est accoutumé,
Tout est porté derrière l’armée, comme nous l’avons dit, par les
femmes dahomiennes ; elles restent avec la réserve. Il en faut un
grand nombre pour les transports d’un corps de 8 à 10 000 hommes,
avec les munitions, quelquefois pendant deux ou trois mois.
11 s est produit des cas où certains villages se sont fortifiés pour
la résistance, etn ont pas permis auxDahomiens de les surprendre;
ces derniers ont alors entrepris des sièges en règle, escarmouchant
I . Telles sont le s circonstances exactes de la prise de Achoukpa, village
du royaume de Porto-Novo, à 7 kilomètres de la ville, le 16 avril 1889. C’est
toujours ainsi que le Dahomey procède.
pendant des semaines et finissant généralement par remporter la
victoire; les vaincus payent alors très cher leur résistance.
D’autres fois, des populations excitées se portent au devant du
Dahomey et un court combat, a lieu entre les adversaires, généralement
à l’avantage des derniers, qui ne craignent ni le danger ni
la mort.
Mais tout cela est très rare. Sans refuser le combat, le Dahomien
paraît aimer tout particulièrement la surprise, le guet-apens ;
comme il s’en prend presque toujours à de plus forts que lui, cette
tactique égalise les chances.
Les prisonniers sont expédiés au Dahomey sous escorte aussitôt
après l’engagement; ils y apportent les têtes et le butin.
L’armée continue ses exploits ou campe en attendant les ordres
du roi ; elle reste ainsi des semaines dans l’inaction. Au moment où
les pluies commencent, elle se rabat graduellement vers le Dahomey,
et au moment où les eaux sont hautes (juin), les troupes
sont toujours rentrées à la capitale.
Il sera peut-être intéressant de récapituler toutes les grandes
expéditions de l’armée dahomienne; elles contiennent à la fois bien
des actes de courage et de cruauté.
Les amazones, surtout depuis le jour où elles se montrèrent sur
le champ de bataille, ont à inscrire sur leur étendard de nombreuses
actions d’éclat. Avec elles, point de surprises, le combat au grand
jour, la poitrine au feu de l’ennemi, le corps à corps désespéré, le
triomphe ou la mort. C’est ainsi que les avait dressées Guêzou.
Voici les principales expéditions par ordre chronologique depuis
l’époque où nous avons essayé de reconstituer l’histoire du Dahomey
:
1661. Cana. 1830. Achantis.
1695. Popos. 1851. Egbas.
1724. Ardres. 1854. Mahis.
1727. Juda. 1860. Ichaga.
1729. Jacquin. 1863. Egbas.
1768-1772. Mahis. 1889. Porto-Novo.
1776. Eyos. 1890-91. Première campagne franco-dahomienne.
En somme, le Dahomey a passé sa vie à faire la guerre ; aujourd’hui,
il se calme un peu, affaibli par la fuite de ses sujets, ruiné
par la suppression de la traite, par le peu d’aptitude de ses habitants
à l’agriculture et à l’industrie, ruiné surtout par son gouvernement
despotique qui s’oppose au progrès.