il faut surtout, ne pas être àperçu. On ne voit, à terre, qu’une
tache foncée qui ondule et avance insensiblement. Une reconnaissance
part en avant ; elle a pour mission de s’approcher le plus
possible et de revenir aussitôt dire ce qu’elle a vu.
Ce détachement (une dizaine de femmes) se dissimule, s’éparpille
et apparaît sur la place en rampant avec précaution. Arrivée
au pied des palissades, chacune examine, se soulève lentement,
essaye de voir à l’intérieur, écoute attentivement pendant un instant,
les bruits qui paraissent venir de la ville. Rien de particulier.
Le moment paraît propice ; les espions s’éloignent à la hâte
comme ils sont venus et tout rentre dans le plus grand calme. On
se prépare à l’attaque ; une réserve protège les derrières et le
corps d’armée s’avance aussi vite que lui permettent sa position et
la nécessité de ramper pour dissimuler sa présence.
Mais voici que quelques habitants (une quinzaine d’amazones
figurent l’ennemi) ont des soupçons sur le danger qui les menace;
on voit, pour la première fois, leur tête inquiète apparaître au-
dessus des murs et interroger circulairement l’horizon. Ces figures,
qui se montrent et disparaissent tour à tour à plusieurs endroits
différents, réussissent à donner l’illusion parfaite d’une foule
inquiète, cherchant à voir l’ennemi qu’elle attend. On voit même
apparaître des canons de fusil, qui indiquent que les citadins se
préparent à la défense.
Dès que la première tête est apparue sur les remparts, tout,
dans les rangs ennemis, est resté immobile ; la marche est suspendue
et chacun est dans la position qu’il avait en cet instant ;
les soupçons ayant été éveillés, il n’y a plus autant de précautions
à prendre, il faut cette fois opérer énergiquement; la générale
donne ses ordres, qui sont portés de ligne en ligne.
Tout à coup le signal est donné. Cette multitude se soulève, le
centre se précipite en avant pendant que les ailes mettent un
genou en terre, prêtes à faire feu pour protéger l’attaque.
Les assiégés s’agitent derrière le rempart dans le désordre
simulé d’une surprise ; des feux de peloton bien nourris accueillent
leur apparition ; ils abaissent leurs fusils et ripostent ; la voix
puissante du canon se mêle au bruit de la mousqueterie, le centre
court toujours, raccourcissant à chaque pas la distance qui le
sépare des remparts ; l’artillerie fait des trouées dans le rang des
assiégeants, des centaines d’amazones tombent à la renverse,
foudroyées à chaque explosion. L’attaque est manquée, le centre
bat en retraite, marchant à reculons, faisant feu et emportant, au
fur et à mesure, les morts qui jonchent le sol; le corps des amazones
se replie et feint de disparaître, dissimulé dans un bois ou
des broussailles.
Les assiégeants arrêtent leur feu, n’étant plus censés apercevoir
l’ennemi.
Dans le rang des assiégeants, tout le monde a repris sa place;
le conseil des chefs, après une nouvelle et courte délibération,
décide une nouvelle attaque. Cette fois, le corps entier va donner;
il faut emporter la place.
Au moment où les assiégés se croient débarrassés de l’ennemi,
celui-ci démasque son artillerie, qui n’avait pas encore servi.
Cette fois, il ouvre le feu et marche sur la ville au pas de course ;
il est presque au pied des remparts, lorsque du haut de ceux-ci
on commence à tirer.
La scène qui suit est indescriptible : au milieu du fracas de la
mousqueterie, du canon qui tonne, d’un bruit inouï enfin, les
cris perçants et sauvages des amazones jettent encore leur note
dominante. Au milieu d’une épaisse fumée, où ils apparaissent
comme des êtres fantastiques, ces démons femelles, le fusil d’une
main, le sabre de l’autre, se précipitent sur le rempart. Les épines,
les obstacles, les escarpements semés à dessein sur leur passage,
tout est franchi par cette avalanche humaine en moins de temps
qu’on ne peut le dire; toute la colonne a passé là en quelques
minutes. Le feu cesse, la fumée s’évanouit et tous les spectateurs
acclament, de leurs cris frénétiques, l’apothéose de la sauvage
féerie, montrant toutes les guerrières qui ont pu trouver place
sur les remparts debout et regardant la foule dans l’attitude du
triomphe le plus complet.
Les amazones se reforment immédiatement et viennent s’arrêter
devant le souverain, la plupart meurtries et sanglantes à la suite
de la dure épreuve qu’elles ont traversée ; un grand nombre
d’entre elles ont les membres écorchés par les épines, mais leur
visage ne trahit aucune souffrance ; elles vont encore danser
avant de quitter la fête. Plus elles sont blessées, plus grand est
leur mérite.
Le roi les félicite, leur remet, ainsi qu’aux hommes, les cadeaux
qui leur sont destinés : cauris, tafia, pagnes, étoffes, mouchoirs, etc.
Chacune des armées exécute, avant de se retirer, quelques danses
de guerre pour remercier le souverain de sa générosité.