Il faudrait, nous le répétons, que quelqu’un entreprît cette spécialité
; on ne regarderait pas au coût. Il faudrait que les produits
vendus soient de tout premier ordre et pour les Européens seulement.
Plusieurs négociants ont partiellement essayé cette branche
de commerce, mais sont bientôt retombés dans le défaut habituel :
choisir du très bon marché, pour le vendre très cher. On réclamait
quand on était par trop maltraité ; mais à quoi cela servait-il ? On
vous changeait votre boîte de sept ans contre une de six ans.
Quelle que soit votre nourriture, mangez sans exagération :
« Il faut toujours se lever de table avec un reste d’appétit. » Ce
dicton paraît fait exprès pour ces climats. En ne surchargeant pas
son estomac, on a des digestions plus régulières.
R é g im e . — Nous ne saurions trop nous élever contre la mauvaise
habitude de faire la sieste *. Dans ces climats, vous êtes anémié,
et l’agitation, le mouvement, sont nécessaires. Si, tout de
suite après votre repas, vous vous jetez sur votre lit, votre digestion
se fait mal, votre organisme ne fonctionne plus comme en
Europe, et une foule de choses que vous faites impunément dans
les climats tempérés ne sont plus possibles ici. On se réveille la
bouche pâteuse, la tête lourde, souvent avec la migraine ; on a des
aigreurs sur l’estomac ; le repas du soir arrive, on n ’a pas faim.
Peu ou pas de nourriture : point de profit.
L’auteur a fait une longue expérience de l’existence dans ces
climats ; il a failli payer deux fois de sa vie son séjour dans ces
régions, et il peut en parler sciemment. La sieste est l’ennemi
mortel de l’Européen dans ces pays, et il faut éviter de se laisser
aller à cette somnolence qui vous prend, sous l’influence de la
chaleur, après le repas et qui a d’autant plus de prise sur vous que
vous êtes anémié. Il faut s’agiter, aller, venir, se mouvoir tant
qu’on peut du matin au soir ; on acquiert de l’appétit, on mange
bien et l’on digère encore mieux ; les fauteuils et les canapés doivent
être réservés aux fiévreux ou à s’asseoir quelques minutes.
Après le repas, levez-vous de table, arpentez un endroit à
l’ombre, tenez-vous éveillé malgré vous ; il ne faut qu’un peu de
force de caractère et ce n ’est qu’un moment à passer. Dès que la
digestion est en train, la somnolence disparaît. Et si vous prenez
l’habitude de ne pas faire la sieste, vous vous porterez beaucoup
I . Faire la sieste consiste toujours à dormir au moins deux heures après
son repas.
mieux que ceux qui ne peuvent lui résister ; vous vous en apercevrez
avec le temps.
Malgré votre activité, évitez d’aller au soleil ou du moins d’y
séjourner trop longtemps aux heures les plus chaudes de la journée
; jusqu’à dix heures du matin et à partir de trois heures, cela
n ’a pas autant d’inconvénient. S’il est indispensable que vous
fassiez un exercice fatigant ou prolongé au soleil, et que vous
vous sentiez un peu mal à l’aise au retour, prenez de la quinine,
ou avalez-en un peu le matin, avant de partir, à titre de préventif.
Faites un peu d’hydrothérapie ; prenez une douche le matin, à
votre réveil, ou bien sautez dans un tub. Si vous n’avez pas faim
en vous levant, prenez l’habitude de ne pas manger ; avalez un
peu de café noir ou de thé très chauds, vous aurez meilleur appétit
au déjeuner, c’est-à-dire vers dix ou onze heures.
N’allez pas vous coucher tout de suite après votre dîner, mais
laissez passer au moins une ou deux heures. Six ou sept heures de
sommeil sont plus que suffisantes ; soyez debout et prêt à vous
promener au lever du soleil ; c’est l’heure la plus agréable de la
journée. L’humidité delà nuit laisse une fraîcheur aussi délicieuse
que rare. L’air est imprégné de senteurs qui sont dissipées peu
après, et ceux qui aiment le chant des oiseaux ne peuvent l’entendre
qu’à cette heure. On peut faire une promenade d’une
demi-heure avant que le soleil devienne incommode.
Avec ce régime et les précautions sanitaires indispensables,
vous avez beaucoup de chances pour vous porter sinon bien, c’est
impossible, mais mieux que les autres.
Il est prudent de ne pas séjourner à la côte plus fle deux ans et
demi à trois ans au maximum, sans venir se refaire quelques
mois en Europe. On peut alors revenir et recommencer un séjour
de même durée.
Ne pensez pas au pays, ni à ce que vous y laissez ; éloignez
l’humeur sombre et la mélancolie qui appellent la fièvre ; soyez le
plus gai que vous pourrez, et le temps passera, si vous avez des
journées bien remplies, avec une vitessè extraordinaire.
E q u i p e m e n t . — A ceux qui se préparent à quitter l’Europe pour
aller dans ces régions et qui veulent savoir la façon de s’équiper,
nous dirons de laisser tous leurs vêtements d’Europe chez eux,
sauf le costume de voyage ; ils n’ont qu’à prendre quelques paires
de bonnes chaussures de fatigue, car celles qu’on vend à la côte
sont pour l’exportation ; du linge, consistant en caleçons, tricots,