la nouvelle arrive que deux Aoussas ont été tués et deux autres blessés dans
un poste situé aux environs de ce village. Les Dahomiens seront à Porto-
Novo dans quarante-huit heures.
Le lieutenant-colonel TerriUon vient lui-même à Porto-Novo, le 16, avec
une compagnie et demie de tirailleurs (la 4e e t un peloton de la 2*) et 75 disciplinaires
qu’il joint au détachement de Porto-Novo.
Porto-Novo, 17 avril. — Le lendemain, il tente une reconnaissance, avec
environ 350 hommes et 300 auxiliaires, dans la direction d’Adjara, en déviant
un peu vers l’ouest.
Après deux heures de marche, on rencontre des traces évidentes de la
présence de l’ennemi. On trouve en travers du sentier deux ou trois cadavres
de Porto-Noviens fraîchement décapités ; il y en a certainement d’autres
ailleurs ; les Dahomiens ne sont pas loin.
On s’avance avec grande précaution ; on se rappelle des surprises désagréables
de Godomé et de Zobbo e t l’on éclaire le terrain avec de la mitra
ille .'
Nous avons omis de dire que quatre pièces avaient été emmenées avec la
reconnaissance.
Quelques instants après, quelques balles ennemies commencent à siffler.
En cet endroit, le terrain est plat, planté de palmiers ; il y a des broussailles
presque sous chacun des arbres, de hautes herbes et de petits fourrés. Mais
on arrive, un peu plus loin, dans un espace découvert, formant une petite
place où le commandant, sentant une attaque imminente, fait former le
carré, place les auxiliaires au milieu et se prépare à recevoir l’ennemi. Les
pièces d’artillerie occupent les coins.
Le carré est à peine formé qu’on essuie le premier feu de l’ennemi ; on voit
des gens apparaître et disparaître tour à tour dans les broussailles, s’avancer,
tire r et se cacher de nouveau pour recharger leurs armes. Leur nombre
augmente à chaque instant. Nos officiers font exécuter des feux d’ensemble
et balayer le te rra in ; malgré cela, les Dahomiens ne cessent de s’approcher.
Leur feu nourri, étant donné la lenteur de leurs armes, indique qu’ils
sont en grand nombre.
Le feu continue ; nos troupes ont à se défendre sur quatre faces à la fois ;
l’ennemi les environne de toutes parts e t ne leur laisse pas une minute de
répit ; l’artillerie, le fusil Lebel1 font leur oeuvre de destruction, et pourtant
les fourrés sont noirs d’ennemis qui s’agitent. Leur ardeur ne se ralentit
pas un instant ; nos troupes ne bronchent pas ; le feu des Dahomiens passe
au dessus des têtes. Le temps s’écoule, le feu n ’a pas cessé.
Le lieutenant-colonel Terrillon, ne voyant pour résultat probable que
l’épuisement des munitions — c a r l’ennemi est excessivement nombreux —
se retire lentement en conservant la formation en carré. L’ennemi ne cesse
p a s ses attaques ; il nous poursuit avec acharnement ; il s’approche de nos
troupes avec une audace extraordinaire. Dans les éclaircies de fumée, on
reconnaît ces guerriers acharnés ; ce sont les amazones. La marche continue
au milieu d’une grêle de balles, du crépitement de la fusillade, du
grondement de l’artillerie. Nos soldats font quelques pas et s’arrê ten t pour
1. C'était la première fois qu’il était mis en pratique.
exécuter des feux ; les munitions tiren t à leur fin ; notre vaillantejtroupe ne
perd pas son sang-froid ; elle vise avec calme, ni trop haut ni trop bas.
Les Dahomiens tentent tout ce qui est en leur pouvoir pour a rrê te r fa
marche ; ils essayent de couper la retraite, se découvrent en masse et tombent
comme des épis sous la faux ; d’autres les remplacent si vivement que
ce sont les mêmes qui semblent se relever et combattre encore.
Les auxiliaires indigènes ne servent à rien. A un certain moment, on les
fait sortir du carré pour protéger les flancs, pendant que nos troupes respirent
un instant ; on les voit aussitôt tire r sans viser, pousser des cris et
se répandre dans le plus grand désordre ; plusieurs sont tués par les amazones
; ils parviennent* cependant à faire deux prisonniers.
On apprend, en interrogeant ces Dahomiens, que le roi Gbédassé (Rehan-
zin comme on l’appelle en France) est lui-même à la tête des troupes, qu il
en ’a formé trois échelons qui donnent successivement ; pendant qu un
d ’éhx combat, les autres se reposent. Toutes les amazones étaient là, au
nombre de 3 5001 environ.
« Les balles françaises, disent les prisonniers, ont tué beaucoup de monde,
surtout les grosses qui se cassent en l'air (obus à mitraille). Le roi a été obligé,
une fois, de changer de place, à cause du grand nombre de balles qui p a ssaient
à côté de lui. »
Notre petite troupe arrive ainsi presque en vue de Porto-Novo, harcelee
p ar les amazones, bien plus féroces et audacieuses que le reste des troupes.
Leurs mouvements, leur rapidité, leur activité étonnent beaucoup nos
officiers.
Le lendemain de cette retraite en musique, selon le terme consacre, au
milieu des félicitations méritées que le colonel Terrillon adressait à ses
soldats, le capitaine Arnouxet le lieutenant Simanski, qui commandaient le
front arrière, le plus menacé du carré, étaient mis à Tordre du jour. Il y
eut quelques blessés, mais rien de grave.
Quelques jours après, les troupes faisaient encore une sortie dans la direction
de l’ennemi, décidées encore cette fois à lui infliger des p e rte s, mais
les Dahomiens ne donnèrent pas signe de vie. Dès nouvelles venues d autres
points apprirent que leur armée repassait le Whémé.
Le combat du 17 avril peut être cité à la fois à l’honneur de nos troupes
et à celui des soldats dahomiens. Ceux-ci ne perdirent pas leur courage
devant la gueule de nos canons et de nos fusils à tir rapide, e t un petit détachement
de 350 hommes lu tta sans repos, pendant près de deux heures,
contre 12 000 Dahomiens ; c’est à ce chiffre qu’on a estimé l’armée ennemie
dans cette journée, et nous ne le croyons pas exagéré. Les pertes qu’elle a
éprouvées ne peuvent se compter ; mais on croit pouvoir calculer qu ils ont
eu de 1 500 à 2 000 morts et autant de blessés. Les obus à mitraille ont fait
plus de mal, à eux seuls, que toute la fusillade réunie.
L’engagement du 17 avril fut la clôture de l’expédition.
Le 21 arrivaient encore, à Kotonou, 30 hommes d infanterie de marine.
1. Par conséquent, nos troupes ne voyaient dans cette multitude qui les entourait
qu’un tiers à la fois de l’armée dahomienne; cela permet de juger combien
elle était nombreuse et explique le feu continu de l’ennemi.