plus clémente ; mais dès qu’ils sont seuls, en face du roi, cette
vaine supériorité disparaît et ils redeviennent esclaves.
Il est défendu aux Dahomiens de sortir de leur pays, même de
leur ville, sans autorisation. Cependant, beaucoup d’entre eux ont
pu échapper aux lois : les uns, au temps où leur pays était tout-
puissant et où ses représailles eussent pu les atteindre n’importe
où, se réfugièrent sur l'eau, demandant au respect de la tradition
leur vie et leur tranquillité; ils construisirent des villages sur
pilotis où leurs descendants vivent encore1 ; d’autres, plus tard,
trouvèrent un refuge auprès des puissances européennes dont
1 influence naissante et les usages leur garantissaient leur liberté.
_ Côtte règle étant posée que, vis-à-vis du roi, qui ne fait aucune
distinction, les Dahomiens sont un peuple d’esclaves, considérons
la situation qu’occupent les unes vis-à-vis des autres les quatre
classes dont nous avons parlé, c’est-à-dire les chefs, lesféticheurs,
le peuple libre et les esclaves achetés.
Les chefs sont les représentants du pouvoir monarchique, dans
toutes les villes et les localités habitées ; ne frayant jamais avec le
peuple, ils gardent à ses yeux un grand prestige ; leurs alliances,
leurs rapports ont lieu dans leur sphère. Fils de chefs eux-mêmes,
de génération en génération, ils diffèrent des autres classes aussi
bien moralement que physiquement ; ils sont très aptes à remplir
les fonctions que le roi leur confie et s’en tirent généralement à sa
satisfaction ; ils excellent à persécuter ceux qui sont sous leurs
ordres, et, toujours au nom du roi, ils commettent de nombreux
abus de pouvoir. Gomme il n’y a aucun intermédiaire entre eux et
lui et qu ils agissent tous de même façon, personne ne dénonce
leurs agissements et le seul à en souffrir est toujours le malheureux
sujet.
Au Dahomey, il n’en est pas comme dans nos nations civilisées
où un homme poussé par son ambition, sa capacité ou ses protections,
s ’élève au-dessus de la foule et, d’inconnu qu’il était, devient
quelquefois puissant ou influent. Dans ce pays, au contraire,
aucun homme n ’oserait penser qu’il a les capacités nécessaires
pour commander à ses semblables; le despotisme et la tyrannie
pèsent sur sa tête depuis son enfance; s’il est fils d’un obscur
citoyen, il n ’aspirera jamais à changer sa situation.
1. On se souvient qu’il était d ’usage au Dahomey, au moins autrefois, de
ne jamais faire la guerre su r l’eau ou en passant l’eau.
Les classes dirigeantes gardent ainsi le pouvoir et le transmettent
de père en fils, ce qui fait que chaque sphère reste dans ses
attributions. Ce que nous avons dit du caractère dahomien et de
la soumission dont les noirs font preuve dans ce pays, fait comprendre
aisément qu’aucun d’eux n’ait l’audace de penser à s’élever
au-dessus des autres.
Entre ces deux classes, \&féticheur tient le milieu : il est quelquefois
chef par la naissance, mais le plus souvent il sort du
peuple; son père, le jour où il vint au monde, l’a voué au fétiche.
Il a été élevé par des féticheurs dans l’art d’en imposer à ses semblables
et il est de son intérêt de garder à distance, aussi bien les
chefs que le peuple ; il vit à part, n’épouse en général qu’une fé-
ticheuse et garde ainsi, par sa vie retirée, un prestige indispensable
à ses fonctions.
Quant su peuple, on sait déjà quelle est sa situation; il vit entre
la crainte du roi, les abus des chefs et les menaces du féticheur
dans „cette vie et dans l’autre.
Le prêtre du fêtiche n’est pas moins puissant que les autres ; il
spécule sur la croyance et la superstition et obtient par ce moyen
tout ce qu’il veut.
Tous trois d’ailleurs ne vivent que grâce au peuple : le roi a ses
impôts; les fonctionnaires sont payés d’une façon dérisoire et leur
dignité leur interdit tout travail ; ils mourraient de faim sans ce
qu’ils extorquent à ceux qu’ils commandent; les féticheurs, de
leur côté, n’ont comme ressources que les nombreuses offrandes
faites aux divinités qu’ils servent.
Au milieu de toutes ces classes, il y a encore une énorme distinction
à faire entre l’homme et là femme ; si peu qu’il soit, il est
tout ; elle, ne compte pas.
Dans certaines régions, c’est elle qui travaille pendant qu’il
passe son temps dans la fainéantise ; elle doit le nourrir lui et ses
enfants, payer les impôts, labourer la terre, passer sa journée
à porter des fardeaux, mener l’existence d’une véritable bête de
somme. Elle reçoit souvent des coups, en reconnaissance de ses
services, et quand elle est vieille et impropre au travail, elle ne
mange que si ses enfants veulent bien penser à elle. Parfois, elle
est moins malheureuse ; l’homme l’aide et travaille aussi ; mais
c’est toujours à elle qu’incombe la plus grosse part.
Quelques voyageurs, entre autres Smith, prétendent qu’il existait
autrefois sur la Côte d’Or, à Agonna, une tribu où les femmes