la terre, souffrant d’horribles tortures et ne pouvant se plaindre
ni manifester leur présence. Lorsqu’ils veulent dormir, le tam-
tam les assourdit ; lorsqu’ils ont faim et soif, ils se trouvent forcés
d’assister, invisibles, à des repas de vivants, où la vue de chaque
bouchée ajoute à leur souffrance. De plus, ils peuvent attirer
toutes sortes de malheurs sur la famille qui les a laissés privés
de sépulture.
Le noir a donc une peur atroce d’être destiné à faire une pareille
fin. La loi est ainsi et les rois ont touché juste en la promulguant.
Tout créancier non payé et ne renonçant pas aux poursuites à la
mort de son débiteur a le droit de s’opposer à son enterrement,
si les parents, amis ou autres personnes n’acquittent pas la dette
le jour du décès. Ces circonstances donnent lieu quelquefois à des
scènes assez touchantes ; la femme et les enfants, pour permettre
l’enLerrement, s’hypothèquent eux-mêmes en contre-valeur de la
dette et deviennent les simili-esclaves du créancier jusqu’à ce que
leur travail ait payé la somme due. D’autres fois, un ami ou un
parent avance le montant, mais c’est rare.
Le plus généralement, aucun membre de la famille ne se dévoue
ainsi. On fait cette réflexion que c’est chacun pour soi en ce
bas monde, sans penser que c’est souvent pour le bien-être commun
que le mort s’est endetté ; on fait même ainsi des économies :
pas d’enterrement, pas de fête, ni funérailles, ni banquet. On n’a
même pas à pleurer non plus ; c’est sans témoin.
On enveloppe le défunt dans un grand pagne et on va le déposer
sur une claie en dehors de la ville. Quelquefois, plusieurs mois
après, la famille paye la dette et reprend les restes de celui qu’elle
a perdu ; les funérailles ont alors lieu de même façon que s’il était
mort la veille. Aussi le noir, lorsqu’il a une petite dette, travaille-
t-il tant qu’il peut pour s’acquitter.
Au Dahomey, le même usage eut lieu jusqu’au temps du roi
Glèlè ; il promulgua une loi par laquelle il défendait de faire
crédit. Toute opération de ce genre interdisait les réclamations
de la part du créancier et était sous sa propre responsabilité.
Il avait l’avantage, s’il était surpris, de perdre son argent et
d’être jeté en prison ou décapité pour avoir outrepassé la loi.
Ce moyen radical supprima tout crédit ; il s’appliqua également
aux Européens ; le roi leur signifia qu’ils n’auraient comme créanciers
aucun recours contre le débiteur; c’était à eux à ne pas se
fier aux indigènes.
Auparavant, le non-payement des dettes au Dahomey donnait
lieu à toutes sortes d’abus ; non seulement le débiteur insolvable
était privé de sépulture, mais encore le créancier s’emparait de
n’importe qui dans la rue et le vendait aux négriers, si l’individu
ou sa famille ne payaient pas une dette avec laquelle ils n ’avaient
absolument rien à faire. A la suite de ces mesures énergiques, des
rixes avaient invariablement lieu entre ceux qui devaient et ceux
qui avaient payé sans devoir.
A cette triste époque, pour un rien, on était vendu aux Européens;
c’était la menace perpétuelle, et chacun s’efforçait ou de
payer ses dettes ou de ne pas en contracter.
Beaucoup de ces sommes dues autrefois étaient des dettes de
jeu. Le noir est joueur, lorsqu’il s’y met, et l’on cite des individus
qui, après avoir perdu ce qu’ils avaient, jouaient leurs femmes,
leurs enfants et enfin se jouaient eux-mêmes comme esclaves
dans la fureur de la partie. •
Il y a de nombreux jeux divers ; chacun d’eux a ses amateurs et
la région où il est en vogue.
Les anciens voyageurs disent qu’il y avait autrefois des jeux où
les noirs exerçaient leur agilité ou leur adresse. Aujourd’hui, ils
n’existent plus, du moins nous n’en avons jamais entendu parler;
les seules récréations des noirs sont des jeux de hasard, auxquels
on se livre assis et dans le plus grand calme.
he jeu des cauris se joue à trois, quatre, cinq et six coquillages
qu on secoue dans la main et qu’on jette sur une natte; les
cauris tombent alternativement sur la partie convexe ou plate. On
parie là-dessus, et selon le nombre qu’il a prédit, le joueur gagne
ou perd. Chacun jette à son tour ses cauris et ceux de son voisin
en même temps.
Après le jeu des cauris, il y a celui de la cheville. Il consiste
en un petit carré de bois épais et plat dans lequel sont percés de
nombreux trous ; les adversaires jouent avec des chevilles qu’ils
plantent en un certain endroit après un long moment de réflexion.
Ce jeu est, paraît-il, très difficile. Il ne se joue qu’au Dahomey.
Sous le règne de Guêzou, les jeux furent défendus ; tout individu
méprisant cette loi était vendu immédiatement aux négriers ;
mais depuis on a recommencé à les tolérer. 11 est rare aujourd’hui
qu ils soient cause d’excès semblables à ceux d’autrefois.
Un autre jeu est celui des godets. On creuse par terre ou dans
un morceau de bois de huit à dix trous alignés par deux et assez