X PRÉFACE.
de juin 1886 au mois de mai 1890. Il l’a étudié sur place; il
en a parcouru certaines parties en chasseur ou en explorateur;
il s’est trouvé en relation journalière avec les indigènes et il
parle leur langue, ou du moins la langue nago, qui est la langue
générale, comprise à peu près de tous ; il a complété ses observations
personnelles par la lecture des écrits publiés jusqu’ici.
Il ne s’est pas mis en scène en écrivant des impressions de
voyage ; il a voulu composer sur le Dahomey un ouvrage dans
lequel seraient exposés pour la première fois, dans un ordre
méthodique, l’histoire des Dahomiens, leur ethnographie, leur
état religieux et social, les productions et les ressources de leur
pays, et il a réussi. Son livre est le plus complet qui existe sur
ce sujet; il est très instructif, et il méritait de prendre place
dans la Bibliothèque de l’Explorateur, à côté de la Bibliothèque
ethnologique dont le savant et regretté M. de Quatrefages
de Bréau a été le fondateur.
Je ne referai pas, après M. Foà, l’histoire de ce royaume du
Dahomey qui était une singularité à quelques égards monstrueuse,
même dans la civilisation rudimentaire de la race
noire. Fondé par la ruse et la trahison — ce qui n’est pas une
singularité en Afrique — agrandi par une suite continue de
guerres, enrichi par le pillage, maintenu par la violence, il a
été pendant deux siècles la terreur de ses voisins, comme le roi
était lui-même la terreur de ses sujets. Le petit État de Porto-
Novo a subi, depuis 1850, quatorze incursions des Dahomiens
qui ont pillé ou incendié 60 de ses villages, lui ont tue plus de
26 0 0 personnes et enlevé 7 200 prisonniers. Le corps des amazones,
dont la création date de 1815 et dont la bravoure et la
férocité ne se sont pas démenties jusqu’au jour de la chute, lui
avait fait une réputation fantastique en Èurope. Mais ce que
l’Europe a été longtemps sans voir, c’est que cette puissance
barbare était minée par des changements qui s’étaient produits
PRÉFACE. XI
dans le monde civilisé; tout guerrier, très peu agricole et nullement
industriel, le peuple dahomien vivait de rapines et surtout
de razzias d’esclaves, métier lucratif quand il se trouvait dans
les comptoirs de la côte des traitants européens toujours prêts
à acheter cette marchandise, et à l’ancre des négriers pour la
transporter en Amérique. Ce trafic n’a pas encore entièrement
cessé. M. Foà nous affirme que le commerce des esclaves continuait
sous main avec l’apparence d’engagements volontaires
de cinq ans, et que c’était afin d’éviter que les Européens ne
fussent témoins des embarquements nocturnes qu’on leur défendait
à Whydah de coucher dans leurs factoreries de la côte.
Mais il est clandestin et sans importance. La source de la fortune
du Dahomey est tarie depuis que la traite est interdite,
ou plus exactement depuis que les colonies et les États d’Amérique
ont aboli l’esclavage. Abomey, capitale riche et florissante
au siècle passé, était une ville déchue quand le général
Dodds est venu l’assiéger.
Ce n’est pas un paradoxe de dire que dans les temps qui se
sont écoulés de la découverte de l’Amérique jusqu’au milieu de
notre siècle, l’Europe a fait plus de mal que de bien au pays
des noirs. Elle n’y a pas créé l’esclavage, mais elle l’a rendu
plus cruel. Sans doute, il y avait des tribus qui mangeaient
leurs prisonniers ; il y en a encore. Il y avait des captifs dont
on faisait des esclaves; cet usage est encore général; mais,
dans la plupart des contrées de l’intérieur de l’Afrique, l’esclave
de case est traité avec douceur, à peu près comme un
membre de la famille; il paraît d’ordinaire se résigner à sa
condition sans chercher à s’y soustraire par la fuite et se
montre même attaché à son maître. C’est l’esclave de traite
dont le commerce est odieux. La traite existait bien avant les
voyages des Portugais, puisque les peuples de l’Asie et de
l’Afrique méditerranéenne avaient des esclaves noirs au moyen