tous avaient reçu en abondance du genièvre. Le désespoir et l’ivresse peuvent
seuls faire comprendre l’audace qu’ils ont déployée dans l’attaque. »,
Combat de Diokoué. — Le lendemain, la lutte devait avoir le même caractère.
Pendant toute la journée, les défenseurs n’ont cessé de nous harceler
« avec un acharnement plus grand encore, s’il est possible, que dans les
combats précédents *. En particulier, une bande de 300 soldats environ a
tenu la tête de toutes les attaques et a laissé la plus grande partie de son
effectif sur le champ de bataille. D’après les renseignements recueillis après
le combat, cette troupe était composée de soldats d’élite qui avaient prêté
à Behanzin le serment de ne pas reculer devant nous. »
Le carré s’était ébranlé le 4 à 1 heures et demie. Dès 8 heures, sa première
face avait surpris les Dahomiens qui se préparaient à l’attaquer sur
le plateau d’Ouakon. La deuxième face tourna le tata de Diokoué, qui était
armé d’artillerie, et l’ennemi dut se retirer.
Les troupes se reposent de 9 heures du mâtin à 2 heures de l’après-
midi.
Après cette grande halte, on se remet en marche, et l’ennemi, chargé à
la baïonnette, est délogé d’une forte position qu’il occupe à Diokoué, aux
portes de Gana. On peut donc bivouaquer sous les murs de la ville sainte,
où l’on devait entrer le surlendemain 6 novembre, sans nouveau combat.
Séjour à Cana. — Pendant que la nouvelle de ces événements, transmise
par le télégraphe, arrivait en France et y suscitait une satisfaction unanime,
Behanzin se reconnaissait vaincu et demandait à négocier. Il envoyait
au bivouac de nouveaux émissaires qui affirmaient la sincérité de ses intentions.
Il ne se passait pas de jo u r que le cossougan, principal conseiller du
roi, ne se rendit à Cana, où le corps expéditionnaire s’était cantonné et
s’organisait défensivement, et ne proposât de ravitailler la colonne et de la
faire conduire à Whydah p ar Allada.
Mais l ’insistance avec laquelle cette solution était présentée ne pouvait
manquer de paraître suspecte. L’itinéraire qu’il eût fallu suivre était fort
dangereux. Le passage du marais de Lama et la traversée de la forêt d’Allada
devaient être très difficiles pendant la saison où l’on se trouvait. Le
colonel Dodds refusa donc.
S’appuyant sur les traités antérieurement conclus avec le Dahomey, il
déclara qu’il n ’acceptait de négocier que si Behanzin lui livrait trois otages
qu’il désigna nominativement, s’il lui cédait tout le littoral et la rive gauche
du Whémé jusqu’à Agony, s’il lui remettait 8 canons et 2000 fusils à tir
rapide, s’il consentait à ouvrir les routes aux Français et à payer 13 millions
d’indemnité de guerre, enfin s’il laissait en tre r le corps expéditionnaire à
Abomey.
Le 14, les plénipotentiaires rendent compte que Behanzin accepte toutes
ces conditions, même la dernière, qu’il a longtemps hésité à subir. Un délai
de vingt-quatre heures lui est donné pour la remise des armes et le payement
de la moitié de l’indemnité de guerre. Mais, le 13 au soir, on amène en
tout 2 canons, 1 mitrailleuse, 100 fusils, 3 000 francs et, comme otages, deux
1. Pertes : 2 tués (dont le lieutenant Menou) et 49 blessés (dont les lieutenants
Maron, Gay et Mérienne-Lucas).
inconnus. Suivant son habitude, le roi ne cherche qu’à nous tromper et à
gagner du temps. Il évacue sans doute ses réserves de munitions et les
trésors monnayés qu’on sait exister à Abomey. Peut-être prépare-t-il la
défense de sa capitale ? Il faut en finir, lui porter un dernier coup et conduire
le corps expéditionnaire à Abomey avant que cette ville, à la faveur des pourparlers
engagés, ait été rendue imprenable.
Les négociations sont rompues e t les hostilités reprises.
Occupation d'Abomey. — La colonne bien reposée, bien ravitaillée, débarrassée
des blessés et des malades, se met en route le 16 novembre à 7 heures
du matin, se dirigeant sur la capitale. Mais, au lieu de la laisser suivre la
grande route le long de laquelle les défenses ont été accumulées, notamment
autour du palais de Goho, le commandant supérieur 1 fait faire un
crochet par Djibé et Bécon.
« Le pays est désert, dit-il dans son rapport officiel.
« A midi, halte à Âouanzon, près de Djibé, en vue des premières constructions
d’Abomey. A 1 heure, on voit la ville en feu. Behanzin l’incendie avec
ses propres palais avant de fuir. Les reconnaissances de cavalerie rendent
compte que la ville est en flammes, sur une étendue de 3 kilomètres ; les
faubourgs sont abandonnés et brûlent également. On ne peut, dans ces conditions,
songer à p én étrer dans la ville ; le bivouac est établi sur place et
fortement retranché.
« L’incendie dure pendant toute la nuit.
« Le 17, au matin, reprise du mouvement. Pas un coup d e feu, pas un
ennemi en vue. A 4 heures, le corps expéditionnaire installe son bivouac
dans la cour principale du palais du roi. Ce palais, comme la ville, est complètement
brûlé. Behanzin a disparu vers le nord. Les reconnaissances lancées
sur ses traces jusqu’à Vindouté ne trouvent que des campements abandonnés
à la hâte et un pays désert. »
Fin de l a campagne. — Les Nagos, heureux d’échapper au joug qui pesait
depuis si longtemps sur eux, arrivent en foule à nos postes e t font leur soumission.
Le général Dodds n'en continue pas moins à prendre des mesures de p ru dence.
Tout est fouillé. On visite les cachettes. On détruit les liqueurs alcooliques,
généralement de mauvaise qualité, dont on trouve des approvisionnements
considérables. Le palais de Goho, à dix minutes d’Abomey, est
fortifié. Une garnison de quatre compagnies avec quatre pièces y est installée
sous le commandement du lieutenant-colonel Grégoire, qui a sous ses ordres
les postes de Gana, de Cotopa et de Kossoupa, et qui est chargé de garder
Abomey.
En effet, il est impossible de prolonger le séjour dans cette ville, à cause
de la baisse des eaux et des difficultés du ravitaillement.
Les troupes rétrogradent donc sur Adégon, e t les canonnières les ramènent
à Porto-Novo, où le général arrive lui-même le 30 novembre. Lacolonne
d’Abomey est dissoute le 1er décembre 2.
1. Le 9 novembre, à la suite de la nouvelle de la prise de Cana, le colonel
Dodds avait été promu au grade de général.
2. En deux mois, sur un effectif qui était au départ de 76 officiers et de