de blanches aigrettes, occupées à pêcher, nous regardaient passer d’un air
intrigué.
Quelques cràbiers effarouchés s’envolant à notre approche et des martins-
pêcheurs immobiles et pensifs sur leur branche étaient les seuls hôtes de
ces lieux.
En arrivant au bout du chenal, qui a environ 2 milles, nous voyons une
petite hu tte sur pilotis sur laquelle flottent les couleurs françaises; un
tirailleur sénégalais, accroupi sur la berge, se lève et nous salue.
C’est le poste d’Aguégué, qui a pour consigne de ne laisser passer aucune
embarcation montée p a r des étrangers en armes et en uniforme; il garde
l’entrée du Whémé.
En effet, su r notre droite nous apercevons le fleuve qui s’enfonce dans
l ’intérieur et disparaît à nos yeux p a r une courbe brusque; de droite et de
gauche et se faisant face à plus de 100 mètres, des arbustes et des buissons
surmontant de petites berges, couvertes de gazon et de fleurs du pays qui
font un joli cadre à l’embouchure du Whémé.
Nous nous y engageons, et un instant d’a rrê t me permet, en me re to u rn
an t, de photographier le joli coup d’oeil qu’offre le poste aux rayons du
soleil levant.
Nous entrons dans le fleuve, ' et après un parcours d’environ 2 milles,’
nous assistons à un agréable changement de décor : les berges se sont
abaissées, les herbes de marécage ont fait place à des prairies du milieu
desquelles s’élèvent de partout les panaches élégants d’innombrables palmiers
à huile.
Cette case fétiche, entrevue sur la berge gauche, c’est Bodjé. Un peu plus
h au t, un petit hameau ; c’est Avabo.
Un peu plus loin, 2 milles encore, e t nous laissons derrière nous les
forêts d’Elàïs. Les herbes hautes de la prairie sont devenues un court gazon ;
quelques, arbres apparaissent, clairsemés, commençant à se couvrir de
feuilles. Poür animer et compléter ce tableau européen, de nombreux tro u peaux
de boeufs, disséminés dans la plaine verdoyante, paissent ou se promènent
lentement.
Voici, dans le lointain, le premier grand village, Afobodgi. Une longue
file de cases construites su r pilotis, mais à sec actuellement, autour desquelles
s’agite une population étonnée de nous voir; nous portons à l’a r rière
le pavillon français, qui flotte aussi su r la case du chef. Le lieutenant-
colonel Dorât lui a remis, en 1886, cette garantie de notre protection.
Nous sommes fort bien reçus p a r le chef, et quoiqu’il nous offre sa case,
nous préférons nous installer su r l’herbe, à quelque distance du village,
pour y déjeuner; c’est si nouveau pour nous ce gazon, ce bétail, nous qui
venons de la côte aride et désolée !
Pendant le déjeuner, un vol de canards sauvages nous invite, en se
posant to u t près de nous dans une mare, à lui demander notre rôti du soir
en échange de quelques grains de plomb.
Nous repartons vers 2 heures ; nous passons, peu après, devant Késonou',
autre grand village où est planté notre pavillon, et malgré les gestes des
habitants qui nous invitent à nous a rrê te r, nous continuons notre route,
c a r nous ne voulons pas perdre de temps.
Nous dépassons ainsi Danko, Gobodjé, Tocouli, sans y séjourner plus du
temps nécessaire pour demander le nom du village, compter les cases,
prendre un angle e t quelquefois une photographie.
Nous faisons les sondages en marchant ; jusque-là, nous sommes encore
dans le bas Whémé.
Le pays environnant reprend à Tocouli l ’aspect qu’il avait avant Afo-
bodji : forêts de palmiers à huile, couverts de gendarmes1 voletant autour
de leurs nids, quelques troupeaux de boeufs de plus en plus rares. Nous
rencontrons quelques pêcheurs occupés à poser ou à re tire r leurs nasses, et
conduisant debout à la pagaie leurs petites pirogues.
A Tocouli, nous avons un in stan t d’hésitation. Le fleuve se divise en deux
bras, et au moment où nous allons nous engager dans le plus large des
deux, qui se dirige vers l’ouest, un pêcheur nous explique que le fleuve va,
au contraire, vers la droite. Nous suivons son indication, tout en nous promettant,
au retour, d’explorer l’autre voie. Il nous paraît pourtant si étrange
qu’un affluent soit plus large que le fleuve, qu’arrivés à Zukpa, nous nous
assurons qu’on ne nous a pas trompés.
Notre premier jour de voyage se termine à Quétomé, où nous arrivons
à la nuit tombante. Nous avons parcouru 21 milles depuis notre départ
de Porto-Noyo; le courant contrarie notre marche; il est en moyenne de
■ 3 milles à l’heure.
Tous les villages que nous avons rencontrés sont de peu d’importance.
Ils sont tous plus ou moins sous la suprématie des chefs de Késonou et
d’Afobodji.
Nous avons passé la nuit dans une case que le chef a gracieusement
mise à notre disposition. Nous avons d’autant plus remarqué son amabilité,
que nous ne sommes plus destinés à être accueillis ainsi, du moins au début.
Aucun Eqropéen n ’est jamais venu jusque-là. Nous quittons Quétomé au
point du jour, pour reprendre notre, voyage.
Nous entrons dans une autre région ; le fleuve se maintient toujours à sa
largeur habituelle, c’est-à-dire une centaine de mètres ; les berges deviennent
plus élevées de chaque côté, la végétation augmente également de
dimensions.
Les arbres succèdent aux arbustes, et les terres perdent l’aspect marécageux
qu’elles avaient en certains endroits.
A Gréoué, petit village de quelques cases, les habitants nous font signe
d’a rrê té r d’un geste et d’un a ir impérieux qui contrastent avec l’accueil
qui nous a été fait jusqu’à présent. Nous rasons la rive pour leur montre
r que nous ne les évitons pas, e t tout en leur faisant de la main des
salutations amicales, nous continuons notre chemin, suivis le long de
la berge p a r quelques individus d’allures suspectes armés de leur ! usil à
pierre. Us nous dépassent bientôt, pendant que nous luttons contre le
courant, et vont essayer, sans doute, d’ameuter contre nous le prochain
village.
En effet, nous apercevons au détour du fleuve la longue file de cases de
Quéti-Sota. La population entière est sur la berge, attendant notre arrivée
1. Espèce de passereaux se rapprochant du jeune moineau