Il assistait donc passivement au repas, étendu sur un canapé
placé à cet effet auprès de la table. Vêtu de son pagne de soie,
avec deux ou trois montres pendues au cou, il était coiffé, pardessus
le bonnet de nuit ou la calotte blanche de cabéçaire qui ne
le quitte jamais, d’un bicorne de général en chef avec un panache
magnifique. Il avait l’air fort majestueux. Cinq minutes après le
début du repas, il sortit d’un air affairé et revint avec un chapeau
d’amiral anglais ; nous vîmes ainsi défiler, pendant le dîner, une
dizaine de coiffures les plus diverses : chapeaux de commandant
de la garde républicaine, de commodore anglais, casquettes d’état-
major, de général de brigade, de division, de médecin et vétérinaire
en chef, etc., etc., tout ce qui avait beaucoup d’or, d’argent
et de broderies. Il en possède ainsi une centaine, depuis le bicorne
jusqu’à la casquette d’inspecteur des chemins de fer portugais.
Il en est de même pour sa collection de cannes ; il en a de tous
les genres et de toutes les grandeurs, depuis celle du tambour-
major jusqu’à la petite badine. Il envoie tantôt l’une, tantôt l’autre
aux Européens, quand il a quelque chose à leur dire.
Le palais du roi Toffa se compose d’un assemblage de constructions
laissant entre elles des cours nombreuses. Sur le devant,
faisant face au marché, s’élève une petite maison à un étage, avec
deux persiennes et une seule pièce. Sur le derrière, le palais du
roi Mecpon, interrompu à sa mort, reste inachevé et tombe en
ruines.
L’emplacement total occupé par le palais du roi couvre un carré
d’environ 200 mètres de côté.
Quelques-unes des cours intérieures sont ornées de grands
arbres; deux ou trois d’entre elles sont encombrées de petits
hangars couverts de nattes, qui dérobent à la vue du visiteur les
divinités du fétichisme, toutes représentées dans le palais du chef
de la religion.
Son sérail se compose de cent à cent cinquante femmes, qui
gagnent toutes leur vie par un travail quelconque ; contrairement
à celles du roi de Dahomey, autrefois, elles n’ont jamais été privées
de leur liberté.
Au moral, Toffa est un homme d’une intelligence de beaucoup
n ’avait de ce côté aucune fenêtre à sa maison. Toffa, lui, ne peut aller sur
la lagune ; il a néanmoins complètement oublié la tradition en avril 1889,
lorsque, au moment de l’invasion dahomienne, il se sauva dans une pirogue
su r le territoire anglais.
supérieure à celle de ses sujets. Il a compris depuis longtemps
que la race noire ne peut, ne sait pas garder son indépendance,
et puisqu’il devait avoir un maître, il en a voulu un de son choix.
C’est à notre gouvernement qu’il a demandé protection ; ses démarches
désespérées pour ravoir le protectorat de la France, alors
que les Anglais allaient s’emparer du pays, sont restées historiques.
Il est tout dévoué à la France et ne demande qu’à voir son
pays tranquille et prospère. C’est le résident de France qui est le
roi.N
otre sympathique administrateur, M. le docteur Tautain, qui
laissa tant de regrets à Porto-Novo malgré le court séjour qu’il y
fit, fut le premier qui fit sentir au roi Toffa cette nuance. Il lui dit
un jour, devant tous les Européens, qu’il entendait, contrairement
à ce qui avait eu lieu jusqu’alors, que le résident de France eût le
pas sur le roi de Porto-Novo. Ce n’était pas en égal qu’il devait
être traité, mais en supérieur. Le roi déclara sans hésitation qu il
serait le premier à obéir au représentant de la France, afin de
donner l’exemple à ses sujets.
Le gouvernement indigène à Porto-Novo est constitué comme
celui du Dahomey; le roi est seul maître et seul juge de ses
actions. Ses ministres favoris portent le nom de larrys, princes
par la naissance, ayant le droit de porter le fer et le pas sur tous
les cabéçaires, sauf le mingan; les larrys du roi sont toujours en
sa compagnie au nombre de trois ou quatre ; il en existe beaucoup
d’autres qui exercent des fonctions administratives, décimères,
percepteurs, etc. Ils partagent avec les cabéçaires les soins du
gouverneifient sous les ordres du roi.
Le premier et le deuxième larrys du roi sont ministres des
affaires locales, le troisième est porte-canne.
Les cabéçaires sont le mingan, exécuteur des hautes-oeuvres,
grand prêtre du fétichisme; le gogan, le méou, le sogan remplissent
des fonctions diverses ; ils ont le même nom qu’auDahomey,
mais avec cette différence qu’aucun d’eux n’est homme de guerre;
il n’y a pas d’armée constituée à Porte-Novo. Il y a, de plus, des
fonctionnaires nommés Yapologan, Yagbasagan, Yagboton, qui
se partagent d’autres administrations civiles et religieuses1.
1. Un de ces cabéçaires s’appelle le Roi de la nuit ; p ar suite d’un ancien
usage, le roi ne pouvait plus sortir ni s’occuper de rien après le coucher du
soleil, et c’était un des plus anciens cabéçaires (qui, lui ne pouvait sortir le
jour), qui régnait en son nom jusqu’à l’aube.