sèrent, durant trois jours, aucun repos aux habitants. Pendant ce
temps, le cadavre de la femme était resté exposé au soleil, dans
la même posture que lorsqu’elle était tombée, barrant la rue, la
face contre terre. Enfin, après force danses, cris et contorsions,
les féticheurs et les féticheuses se rendirent auprès du corps, et,
l’ayant attaché par une jambe, le traînèrent par toute la ville. Le
funèbre cortège vint s’arrêter sur la plage, mêlant son brouhaha
au grondement de la barre. Les danses recommencent autour du
cadavre pendant que des féticheurs le découpent en petits morceaux.
Ensuite tous s’asseyent en cercle, et, devant plusieurs
Européens, dont un missionnaire, et toute la population qui les
regarde, les féroces sectaires du fétiche dévorent toute crue, et
malgré son état avancé, la victime de Chango.
Tels sont les féticheurs; pour imposer au peuple, ils se font
même anthropophages.
Le coeur, qu’on extrait du corps des victimes à chaque sacrifice
humain, est séché, pulvérisé et mélangé à du tafia; ce liquide,
ainsi composé, passe pour donner le courage aux guerriers.
Les divinités seules que nous avons signalées comme les plus
importantes ont droit aux sacrifices humains, ce qui n’exclut pas
ceux de toutes sortes d’animaux qu’on peut trouver.
La poule sert généralement à tous les petits sacrifices ; quelquefois
une chèvre ou un mouton. Ces animaux sont mangés par celui
qui les offre; le sang, le poil ou la plume seuls restent dans une
calebasse au pied de l’idole.
Elegba reçoit très souvent des chiens; comme on né les mange
pas, on les lui pend au cou et l’on n’y touche plus jamais.
Une cérémonie assez curieuse est le fétiche aux guerriers ; elle
a lieu à Porto-Novo, dans le palais du roi, chaque fois qu’il y a
menace évidente d’une guerre; les gens qui veulent prendre le
fétiche, selon l’expression consacrée, sont toujours nombreux, car
on donne à boire.
Les guerriers arrivent en armes et prêts au combat ; ils se rangent
dans une des cours du palais affectée à ce service.
Le grand féticheur se prosterne devant Ogoun, le dieu de la
guerre, dont l’idole est représentée là, comme d’ailleurs foutes
les divinités du fétichisme disséminées dans les diverses cours du
palais, sous de petits hangars de paille. Il invoque le dieu des
combats et lui demande d’inspirer et de rendre invincibles ceux
qui sont venus implorer son aide. Après l’évocation, le ministre
du fétiche trace sur la terre, avec un couteau de fer, une ligne
assez longue pour que quatre ou cinq hommes puissent se mettre
à genoux dessus faisant face à la divinité. Il fait placer ses fidèles,
et prenant ensuite une grande hache fétiche qui se trouve au pied
de l’idole, il leur donne à chacun à mordre le fer de l’instrument
pendant qu’il leur pose sur la nuque une fourche en bois, qu’il appuie.
Puis vient le tour d’un gros caillou, tout rouge de sang
coagulé provenant d’un sacrifice humain fait la veille à cette intention.
Chacun des hommes agenouillés doit passer sa langue une
fois sur la pierre ensanglantée.
Après cette dernière formalité, chacun reçoit à son tour, dans
une calebasse, une ration de la liqueur du fétiche (alcool mélangé
d’excitants et de piment) et laisse la place à d’autres. Des quantités
d’individus se succèdent ainsi dans une journée. Avant de quitter
le palais, ils doivent danser en l’honneur du dieu de la guerre.
L’alcool, la danse, l’imagination surtout, font de ces gens de
véritables forcenés ; ils sortent du palais comme des fous, sautant,
poussant des cris inarticulés et s’imaginent réellement sentir
s’agiter en eux le fétiche guerrier qu’ils viennent de boire. Ils parcourent
les rues en courant, et leur attitude fait deviner immédiatement
d’où ils viennent; leurs yeux hors de la tête, leurs gestes
désordonnés font contraste avec le flegme et l’insensibilité habituelle
du noir.
Il est certain que si ces gens se battaient dans cet état, ils
seraient fort dangereux pour leurs ennemis ; mais ils reçoivent le
fétiche souvent plusieurs jours avant le combat, ce qui fait que
toute leur ardeur a eu le temps de disparaître.
A Porto-Novo, où les indigènes sont aussi couards et poltrons
que les Dahomiens sont courageux et braves, cette cérémonie a
son utilité. Elle n’existe pas au Dahomey, où tout homme doit être
prêt à donner sa vie dès que le roi le désire.
Nous souhaitons que tous les détails qui précèdent puissent
donner une idée exacte de ce qu’est le culte des noirs de la Guinée
en général, et du Dahomien en particulier.
Religion sans éthique, tout en ayant les apparences de la morale,
inventé et imposé par des gens qui n’y croient pas, le fétichisme,
malgré son spiritualisme apparent, restera toujours plein de coutumes
barbares et un culte pervers et vicieux.
La civilisation mettra des siècles à le combattre, sans arriver à
le faire disparaître complètement, tant il est enraciné dans le coeur