et préparé pour le recevoir. Il passa ensuite une semaine à visiter
la ville et tout ce qu’on crut pouvoir l’intéresser.
Le jour de l’audience, M. de Berlise, introducteur des ambassadeurs,
vint à l’hôtel de Luynes avec le carrosse royal pour conduire
l’envoyé du roi d’Ardres devant Sa Majesté. Après avoir
traversé les Tuileries, admiré les gardes-françaises, les Suisses,
les mousquetaires du roi, les archers de la prévôté, les Cent-
Suisses, qui encombraient les cours et les corridors, il arrivait en
présence de Louis le Grand, du dauphin et du due d’Orléans, entourés
de toute la noblesse de France.
Il eût été curieux de pouvoir analyser les sensations de l’ambassadeur
en ce moment ; le barbare passait brusquement de son
pays sauvage au centre des arts et de la civilisation ; il quittait la
réunion qui s’appelait la cour d’un petit chef nègre, pour visiter
celle du plus grand des souverains de l’Europe ; il venait enfin
d’un pays plongé dans l’ignorance complète et la superstition,
pour voir groupées autour de lui les gloires de l’époque et d’aujourd’hui,
toutes ces célébrités littéraires ou artistiques dont aimait
à s’entourer le roi Soleil... Quel contraste !
Lui, ses trois femmes et ses trois fils, dit d’Elbée, étaient complètement
ahuris. Ils crurent sans doute faire un rêve. Ils revinrent
tous chargés de présents, sauf deux enfants que le roi
voulut faire élever et qu’il garda en France.
On comprend aisément tout ce que durent raconter à leur retour
ceux qui, les premiers, venaient de voir de si près une nation
européenne ; il dut rester beaucoup de leurs impressions dans
l’esprit des indigènes.
Les rois de Dahomey durent emprunter ainsi, par ouï-dire ou
par les conseils des voyageurs, une foule de détails à la civilisation.
Glèlè aurait eu, dit-on, autour de lui des gens qui parlaient ou
écrivaient toutes les langues européennes. Confondus dans la foule
autour du souverain quand il donnait des audiences, ils comprenaient
les réflexions que pouvaient faire les blancs ; ou bien, mis
obligeamment à leur service momentané comme domestiques, ils
espionnaient sans qu’ils s’en doutassent les hôtes du roi de Dahomey.
Nous avons encore présente à la mémoire cette recommandation
du chacha à des Européens qui faisaient partie d’une mission
se rendant à Abomey : « El surtout, quoi qu'il arrive ou que vous
voyiez, pas un mot, pas une réflexion entre vous, dans réimporte
quelle langue; si vous voulez causer, allez dans les champs, et
même, faites attention! »
Cette splendeur dont nous parlions est aujourd’hui passée. Le
roi vit bien, sans privations, mais sans extravagances ; son budget
est dans une situation précaire^en proportion de ce qu’avaient ses
pères, il est dans la misère! Chaque année, il lui faut une forte
somme pour son expédition et pour ses coutumes, et il est obligé
de dépenser le reste de ses impôts en frais indispensables. Il sait
que, le cas échéant, personne ne lui viendra en aide ; il n’a autour
de son royaume que des ennemis, qui attendent une occasion
pour se venger de plusieurs siècles de persécution.
Le royaume est administré, sous les ordres du roi, par un gouvernement
militaire. Le roi confie à des cabéçaires, qui sont tous
chefs de guerre, les fonctions de ministre, maire, percepteur, etc.
Les ministres ont chacun leurs attributions, tout en conservant
leur grade dans l’armée; ils ne quittent que rarement la capitale.
De nos jours, voici leurs noms et leurs fonctions approximatives :
Le mingan, premier chef de guerre, premier ministre, intérieur,
police, exécuteur des hautes oeuvres ;
Méou, premier chef de guerre, ministre des affaires étrangères ;
Tocpo, deuxième chef de guerre, affaires locales (à Abomey),
chef du serment;
Binazon, premier chef de 'guerre, ministre responsable des finances,
chambrier, ne quitte jamais Sa Majesté;
Gaôu, général en chef, organisation militaire, amazones, approvisionnements
de guerre, transports, munitions, etc. ;
Kpossou, général ; il y a cinq ou six généraux adjoints au
Gaôu;
Sogan, premier chef de guerre, chef des écuries, affaires gouvernementales
;
Gogan, premier chef de guerre, chef des bouteilles *, officier de
bouche, approvisionnements, palais du roi.
Ces noms désignent les fonctions. Celui des individus est rarement
mentionné.
Le mingan, ajoute à ses fonctions celle de grand prêtre du fétichisme,
le roi étant le chef de la religion comme celui de l’armée.
Il y a d’autres fonctions accessoires qui sont confiées à n’im-
I . Traduction littérale de go, bouteille ; g an, grand, chef.