ni conscience. Il règne par la crainte et, malgré tout, par le respect.
Son nom seul fait trembler ceux qu’il commande, et, pour
le prononcer, eux, si petits, en signe d’humiliation, ils se couvrent
la tête de boue et baisent la terre. Devant lui, ils se traînent dans
la poussière, comme honteux de la distance morale qui les sépare,
et quand il les tue, leur dernier regard peint le respect et
la résignation.
Et qui est-il, cet homme qui inspire une pareille soumission ?
Est-il au-dessus d’eux par l’intelligence ou le savoir, le courage
ou la force ? Nullement. 11 n’a rien pour inspirer l’admiration,
encore moins le respect ; il commet de gaieté de coeur des cruautés
atroces, il respire l’astuce et la méchanceté ; en toutes circonstances,
il se comporte généralement d’une façon qui donnerait
peut-être des scrupules au dernier Dahomien.
Mais personne n’ose remarquer ses actes. Pour ses sujets, ce
n ’est pas un homme comme les autres, dont la conduite soit à
louer ou à blâmer ; c’est un être sacré, enveloppé d’une atmosphère
surnaturelle ; sa personnalité est l’oeuvre du fétichisme et
de la tradition exaltée ; c’est le descendant authentique, l’héritier
légitime des rois de Dahomey, fondateurs de la - dynastie. C’est
leur sang qui coule dans ses veines et, dans aucun cas, il n’est
permis de le répandre ; lui est si généreux de celui des autres,
cependant !
Non content de gouverner son royaume avec la plus grande
rigueur, il persécute les malheureux Dahomiens jusque dans les
moindres détails.
Lui, le grand roi, si sûr de sa puissance et de son prestige,
paraît jaloux du plus misérable d’entre ses sujets ; il réglemente
sa coiffure, ses vêtements, comme s’il craignait de lui voir donner
une preuve de goût ou de coquetterie.
Les Européens mêmes, qu’il devrait accueillir avec affabilité,
en raison de l’argent et des cadeaux que leur présence lui rapporte,
sont reçus avec froideur et indifférence ; il a l’air de craindre
que toute gracieuseté de sa part soit reçue comme une reconnaissance
tacite de son infériorité. Il ordonne à ses représentants de
faire sentir son pouvoir aux Européens dans toutes les occasions,
et son royaume est devenu une souricière, une nasse, où tout le
monde est libre d’entrer, mais dont personne ne sort sans sa
permission.
Au Dahomey, il faut réfléchir longtemps avant d’accomplir les
actes les plus ordinaires de la vie ; on est environné d’espions,
qui sont surveillés eux-mêmes.
Les Européens ne font pas un pas qui ne soit rapporté aux autorités
et, quant aux indigènes, chacun d’eux a une épée de Da-
moclès continuellement suspendue sur sa tête. Ils se vendent
mutuellement pour s’acquérir les bonnes grâces des cabéçaires ;
ceux-ci, de même, se dénoncent l’un l’autre chaque fois qu’ils
ont un motif pour donner au roi cette preuve de dévouement, ce
qui fait que, dans ce pays, personne n’est sûr de ne pas se trouver
le lendemain, avec la chaîne au cou, sur le chemin de la capitale.
Le trône de Dahomey est héréditaire du père au fils, du frère
au frère ou au neveu, selon les circonstances et la volonté du
prédécesseur. A peu d’exceptions près, c’est généralement du
père au fils que s’est transmis le pouvoir ; Guêzou était pourtant
frère d’Adonozan. En général, c’est le roi qui décide longtemps à
l’avance de celui qui lui suocédera. Dans le cas où il meurt sans
avoir prévu la chose, les ministres et les grands du pays forment
alors une assemblée solennelle où le successeur du roi est désigné,
bien entendu lorsqu’il n’y a pas d’héritier direct et naturel.
La décision de cette assemblée est irrévocable. Le roi, une fois
nommé, l’est pour toujours et ceux qui l’ont mis sur le trône ne
conservent pas plus de prestige qu’auparavant. Ils redeviennent
sujets soumis et obéissants.
Lorsqu’il y a eu, entre la mort d’un souverain et l’avènement
de son successeur, un intervalle si court qu’il soit, on remarque
que les ministres pillent généralement d’un commun accord le
trésor du défunt. Tous les fonctionnaires du royaume font de
même, profitant du manque de documents et de contrôle.
Le palais du roi est une réunion de constructions qui sont plutôt
une petite ville qu’une habitation particulière. Les anciens voyageurs
la décrivent comme une succession de cases divisées en trois
ou quatre parties : l’habitation du roi proprement dite, les magasins,
le logement des serviteurs, celui des eunuques et le sérail.
La richesse et la munificence qui présidaient aux fêtes, les caprices
coûteux auxquels le roi satisfaisait sans cesse, faisaient
l’admiration de tous ceux qui visitèrent les rois du Dahomey aux
temps florissants de la traite.
Un certain Bullfinch Lamb, sujet anglais, qui, l’on s’en souvient,
avait été fait prisonnier pendant la conquête du royaume
d’Ardres et emmené prisonnier à Abomey, écrivait, le 27 no