
Peii après avoir paifé le Rhin à D u s s e l -
D o r f , on entre dans les immenfes Bruyères
de la Westphalit. Rien iurement n’eit plus
muet au premier abord : on diront même fort
aifément que rien n’eil plus trille. Cependant
à force d’en voir & d’y faire attention,
elles ont formé à mes yeux l’un des fpeç-
tacles les plus intéreffans & les plus inilruc-
tifs que j ’aie encore rencontrés. On ne fau-
roit douter en les examinant, que la R é vo lution
à laquelle la furface de la Terre doit fa
forme aêtuelle, ne foit jfi proche de nos tems,
que l’on doive en trouyer quelque trace dans
1r tradition.
En traverfant les plaines monotones de la
Flandres, & nous approchant de la Westpha\le%
nous lifions P é t r a r q u e ( æ) . Il avait parcouru
ces çontrées-là quatre à cinq Siècles
avant nous, & nous aimions à l’entendre fur
des lieux que nous allions voir.
On fe défie peut-être trop des gens à imagination
ardente : traduifons leurs expreiîions
en langage vulgaire, & nous y trouverons
quel-
( « ) Je eompiençai ce voÿage en compagnie de la mime
performa avec qui je fia ceux dont j’ai donné la içlatjoa,
ilana 1# Ite P a e t i b . j
, k)0Sj
■ Lettre LII. ï>ë la TERRE. ü
I quelquefois des vérités intéreffantes , quhls
H étoient feuls capables de faifir. r Quelle v a -
I , n ité ,” difions-nous,en l’entendant traiter
Æes pays-là de barbares! if Ces Italiens n’a.-.
m}) voient retenu de leurs prédécesseurs les
Romains, dont ils étoient fi fie rs , que
■ „ leurs mépris pour les autres Nations. ’*
I Cependant fi P é t r a r q u e eût dit feulement
I alors, que ces pays étoient fauvages, incul-
I tes , impropres encore à l’espèce humaine
I civilifée, habités feulement çà & là par de
I pauvres Bergers, qui fe retiroient dans des
I hutes , & dont les familles peu fécondes en-
I c o r e , s’agrandiiToient lentement en pous-
I fant peu à peu les confins de leurs clos dans!
■ /les Bruyères défertes; s’il eût dit même que
f ces fauvages là n’avoient presque aucun langage
en comparaifon des Nations polies,
f pareeque les mêmes gens fe voyoient du matin
au foir & ne voyoient qu’eux ; qu’ils for-
toient de leurs forts comme des ours, ou
■ fuyoient comme des chevreuils, fuivant qu’ils
étoient naturellement hardis ou timides, tout
cela vraifemblablement n’eût été que la vérité;
c ’eR ainfi fans doute qu’étoient encore ces
¡pays-là du tems de P é t r arq_ue ; ils étoient barbares dans fon ilyle ; ç ’eft-à-dire nais/ans
peq civiHfçs, -
A 5 Les,