
J’aurôïs bien voulu employer mon tems à
examiner cette Colonie ; mais dans cette route
toute de fable, ne pouvant être averti du
pailage de ma voiture par fon b ru it, je fus
obligé de garder mon p oile; & pour paffer
le tems je me mis à noter les idées qui m’a-
voïent occupé dans le chemin : c’étoit mes
foupirs fur Hounslaw heath & Black heatb , & la
comparaifon de leurs habitans noèlurnes avec
çeux que les Bruyères mêmes nourriflent. Je
garde cë papier, pour qu’il me retrace plus
fouvent l’intéreiTante fin de cette petite aven*
ture.
Après avoir attendu plus de demi heure
fans voir mes gens venir, je forcis de la chaumière,
& gagnant le haut de quelques Dunes
qui étoient auprès, je regardai du côté, du
chemin par lequel j ’étois venû. Ma vue
s’étendoit à une grande diftance, mais je ne
voyois’rien. Cela me mit véritablement en
peine; & j ’en eus fûrement l’air en rentrant
dans la maifon. Je tentai de nouveau de me
faire entendre à mes bonnes femmes ; mon
air intrigué redoubla leur attention ; je me
bornai à tâcher de favoir d’elles, fi le chemin
que je venois de tenir menoit de Gratté à-Sorot!
Bois le- Duc ; elles me comprirent, & j e corn*
•pris à mon tour que j ’étois bien loin de; ce
chechemin
:' fur quoi je leur demandai quel étoit
donc celui que j ’aurois du prendre. La ma$»
trefle alors :, forçant de la maifon avec moi,
& me conduifant à quelque diftance , me
montra des maifons auprès desquelles je de-
vois paifer; puis un mot, femblable à ÎVïni-
mill Anglois, m’apprit qu’un moulin à vent:,
que. je ne pouvois encore découvrir, feroit
un fécond renfeignement; je compris même
que le chemin de Grave à Bois-le-Duc palfoit
auprès de ce Moulin.
Me voilà donc enfoncé dans les Bruyères,
par le vent & la pluie, à demi lieue de ce
Moulin à v e n t , où ma voiture avoit paifé
peut-être depuis demi heure, fe hâtant fans
doute pour m’atteindre, & s’éloignant ainii
de moi de plus en plus. Mais un inilant effaça
toutes ces idées défagréables. '
Ne voulant point employer le tems â tourner
autour des expreffions verbales de gratitude
, je p r is , pour témoigner la mienne à
cette femme , un langage qui eit en tendu de
tout le monde; je tirai quelque monnoie de
ma poche, & voulus la lui donner.* Elle re-
fufa inflexiblement, & ne me tendit fa main,
que lorsque la mienne, devenue digne d’elle ,
fe préfenta vuide d'argent, mais pleine d’af-
fe&ion. „ Bonne femme ” , lui dis -je alors
en