
qui s’étend à l’Oueil à perte de vue du côté
du Rh in , eft un jardin continuel, tant il y
a de variété dans les produèlions qui cou-
vrent la terre. Aucun terrein ne s’y repofe,
& tout paroît y profpérer.
• Le Soleil couchant, qui vint doier toute la
chaîne des Montagnes , produifit pendant
quelque tems un des plus beaux fpeètacles
qu’on puifle concevoir. Les Châteaux é«
toient poulies e n a v a n t par de grandes mas«
fes d’ombre , & la vive lumière qui éclai-
roit toutes les faillies, nous y faifoit déeou«
vrir mille détails intéreiïans.
Quel plaiiir de voir tout en mouvement
dans ces Collines 1 La fin du jour amenoit les
Villageois au logis. Ils descendoient des
Bois, ou fortoient des vergers & des vignes,
chargés des provisions qu’ils avoient receuil-
lies pour leurs befoins. Accoutumés à voir
ces bonnes gens chez eux, nous nous repre-
fentions aifément ce qui alloit terminer leur
journée: une jouiflance bien légitime, puis
le repos. Nulle inquiétude , nul remords,
aucun fouci pour le lendemain : leur jouiiîan-
ce eil pure & leur fommeil paifible. A j’in-
ftant qu’ils fe lèvènt, ils font prêts au travail ;
point de fomnolence, point d’engourdiiTe-
ment j en prenant leur habillement, ils ouvrent
vrent leur porte & partent. Ils ne s’ennuient
point de leur vie monotone ; parce que c’eft
celle de la Nature, & qu’il n’y a point de
ces inventions de l’Art qui amènent le
d é g o û t . Ils ont befojnde manger; ils vont
faire produire, la terre : ils ont befoin de fe
vêtir; ils élèvent des moutons, ils font croî- ,
tre du Un: ils ont befoin de dormir; ils ras-
femblent de la paille ou des feuilles fèches
fous le chaume; ils ont befoin de s’entr’aimer;
ils fe marient jeunes, ils vivent en bon
voifms , ils font hospitaliers : ils ont befoin
d’être tranquilles fur l'avenir ; ils croyent
que Dieu prend foin de fes créatures, & que
s’ils ont* quelques peines dans’cette v ie , c’e il
pour fentir d’autant mieux le bonheur dans la
vie avenir , s’ils font bien. Quels font les
autres befoins réels de l’Homme? Si ceux-là
f o n t remplis, que lui reile-t-il de plus à defi-
rer ? & s’il defire plus, n’eil-ce pas par une
d é g é n é r a t i o n de fa nature?
Quand je vois qùelques poignées d’individus,
ennuyés de leur loifir, troublés par le
defir d’être heureux , parce qu’ils ont réduit
le bonheur en fyftême ; foutenir, d après
ce qu’ils fentent & qu’ils prêtent aux autres
, que ce Monde eft fort mauvais : je jet
plains, & je n’ai de plus qu’à leur dire : ,,
K k 3 > V**
\