
petit fou v enir, je tirai le mouchoir de ma
poche & le lui offris. Elle le p r it , me regarda,
le mit fur une table, mais Tans chang
e r non plus de phyfionomie. Elle com-
prenoit bien ce que je voulais lui cfirej mais
elle ne me reconnoiffoit pas.
Ce fut pour moi un grand décompte; &
je le témoignai encore par quelques marques
de dépit. Mais une réflexion me ramena
tout à coup. „ Voilà ” , me dis-je, „ voilà
„ l’hospitalité de la Nature ; elle s’exerce
„ fans y fonger.” Je relus alors ma leçon avec
plus de calme, je repris le mouchoir & le lui
donnai. Elle l’accepta, témoigna qu’il lui plai-
. fo it , puis l’ayant pofé d’un tout autre air fur
l’un des bouts de la table, elle entra dans une
autre pièce de la maifon qui communiquoit
avec la cuifine, d’où je la visreffortir chargée
d’un gros p a in , d’un pot de bière, de beurre
& de fromage frais. Elle arrangea tout cela
devant moi fur une nape propre, & me lit
iigne de manger. L e pain étoit fort brun &
la bière fort trouble; mais j ’avois mérité comme
elle de trouver ces mêts très bons ; car j ’avois
fait déjà plus de trois lieues à pied.ee même
jour. Je me: mis donc à manger de fort
bon appétit, tandis qu’elle retourna vers fon
f e u , pour continuer de faire des gâteaux à la
poé'le, qu’elle m’offrit enfuite. Après
Après avoir appaifé ma faim. & furtout
ma fo if, car il faifoit fort chaud, je me levai
pour parcourir la maifon & la ferme. La
bonne femme me laiffa faire fans fe déranger.
Je paflai d’abord par l’étable, où J e trouvai
un Cheval & cinq vaches ou geniffes. Je
jfortisfur une petite peloufe, qui fervoit.de
b a ffe cour , où je vis de la volaille, & une
pièce de toile qui blanchiffoit; c’étoit le produit1
de la chenevière & le travail des femmes
de la maifon. J’allai au champ que le
' bon homme7 labouroit au Mois de Décem-'
i bre î il avoit rapporté de forge & de l’avoi-
j ne ; il y avoit encore fur pied de fort beau
j bled farrafin ; des carottes pouffoient dans le
chaume d’orge nouvellement labouré, & une
[autre partie^ étoit femée de raves. L e p o tager
étoit bien fourni d’autres légitimes’ ; &
[toute la poffefîion étoit entourée de taillis
épais au dedans du folle. Eft-iî aucune terre
là bled, dont une pareille étendue fournifle
(tant de fubfiftancè , & à des êtres fi heu-
[reux?
Après m’être réjoui à la vue des vrais tré-
Jfors.de mes hôtes, je rentrai dans la maifon.,
■ Je remarquai alors chez mon hôteffe l’effet
■ de cette envie naturelle & honnête de plaire,
■ qui fait le plus doux lien de la Société. Quelque