1702. tant quelques curieux parmi les plus
:£î| Mai. confiderables, qui en ont de fem-
Manieres
des Ruf-
fiens.
blables, 8t qui tâchent d’y cultiver
des fleurs.
Leurs manières font allez extraordinaires.
Lors qu’ils fe rendent vi-
fite & qu’ils entrent dans une chambre,
ils ne difent mot,& cherchent
des yeux quelque tableau de faint,
dont leurs appartemens font toujours
pourvus. Ils lui font trois
grandes reverences , & puis plu-
lïeurs lignes de croix en prononçant
- ces paroles, GofpodiPomilui, c’eft-
à-dire Seigneur, ayepitié'de moi-, ou
bien Mier efdom Zjeiewoefonon, qui
veut dire, la Paix fait en cette mai-
f in , & parmi les vivans qui l’habitent,
faifant encore des lignes de
croix. Enfuite ils faluent les gens
de lamaifon & leur parlent. Ilsfont
de même chez les étrangers, s’a-
dreffant au premier tableau qui s’of-
fre à leur vue, de crainte de manquer
de rendre à Dieu les premiers
honneurs, qui lui font dûs. Leur
plus grand drvertiffement eft la chaf-
fe à l ’oifeau, avec des faucons, &
à courre un lievre avec des levriers.
Ils ont de bons reglemens à cet é-
gard, le nombre des chiens qu’un
chacun peut avoir étant fixé félon
ion rang. Hors cela, ils ont peu de
divertiflemens particuliers. Les inf-
trumens de mulique les plus en ufa-
ge font, la harpe, les timbales, la
cornenjufe, & le cor de chalfe. Ils
prennent beaucoup de plailir à fe
trouver parmi desinfenfés, desper-
fonnes difformes & des ivrognes,
lors qu’ils le font à l’excès. Quand
ils regalent leurs amis, ils fe mettent
à table à dix heures du matin,
& fe feparent à une heure après mit
d i , pour aller dormir chez eux,
tarit en hyver qu’en été. Leur maniéré
d’écrire eft fort linguliere:
Ils prennent le papier de la main
gauche, le pofent fur leurs genoux,
& écrivent ainfi. Il y en a pourtant,
qui commencent à écrire comme
nous, 8c particulièrement dans leurs
Chancelleries. Leur maniéré de
coudre diffère aulîi de la nôtre: Us
mettent leur dé fur le premier doigt,
dont ils fe fervent avec le pouce,
L eu r m aniere
d’ écrire.
E t de
coudre.
pour tirer l ’aiguille & le fil vers 1702.'
eux, chofe directement oppofée à n. Mai.
la notre. Us le font aulîi des pieds,
quils ont ordinairement nudsj &
favent tenir, entre les deux premiers
doigts, l’étofequ’ils coufent, aulîi
bien qu’on le fait parmi nous fous
le genoux ou en l’attachant. Je leur
ai pourtant vû faire autrement.
J ’allai au commencement de Juil-Hermites
let avec un de mes amis à Probro- Ruffiens.
finsko, voir trois hermites, prifon-
niers depuis 4. ou 5. jours. Ils a-
voient demeuré aux environs d’A-
fiph , fur une petite riviere , qui
va fe décharger dans le Danube. Je
fus furpris, de leur maniéré & de
leur habillement. Le plus ancien
avoit environ 70. ans, & les deux autres
paroiffoient en avoir plus de 50.
Le premier avoit demeuré 40. ans
en ce lieu-là, dans le creux d’un
rocher, où il avoit été pris une fois
par les Tartares & vendu aux Tares,
d’entre les mains defquels s’étant
fauvé peu après, il étoit retourné
à fon hermitage , où il avoit toujours
demeuré depuis. Us étoient
accufez, à ce qu’on difoit , de s’ê tre
éloignez de la fiai Rujfienne, mais
ils s en défendoient, & fouhaitoient
qu’on les fît examiner , déclarant
qu’ils étoient prêts à fe foumettre
aux plus grandes peines pour la gloire
de Jefus-Chrift, quoi qu’ils ne
fuffent nilire ni écrire. Us n’étoient
vêtus que d’une robe de bure 5 les
cheveux leur pendoient jufques au
milieu du dos, comme des fauva-
ges, & fans être peignez , & leur
couvraient le vifage , de manière
qu on ne pouvoit le voir fans les en
éloigner de la main. Ilsayoientfur
l’eftomac une grande croix de fer,
I qui pefoit bien quatre livres, attachées!!
deux bandes de même, qui
leur paffoient par déifias les épaules
8c tomboient fur le dos, étant acro-
I chée à une autrefemblable, qui leur
fervoit de ceinture & étoit jointe
par devant au bas de cette croix,
fur l’eftomac. Les deux derniers a-
voient une fi grande vénération pour
ce vieillard, qu’ils le loutenoient
par delfous les bras, toutes les fois
qu’il vouloit fe lever, comme il fit
lors
1.702.: lors que nous approchâmes de lui. 1 cela lui déplâifqit, je réfolus;, pour 1702.
i i . Mai. Us devoient relier dans cetteprifon plufieiirsraifons,delà fatisfaire & nie.ii..:Mai.
jufqu’au retour de là Majefté Çza- nus à travailler fans perdre de tems. ^ n“ue"'
rienne.. On. les avoit laiifez. enfem- Le cinqtfieme de J fin ',: la plupart fécondé
ble.„ fans les mettre aux .fers,. dans | des marchands,, qui étoient reft,ez;
un lieu quiffétoit pas couvert , ,af-
fis fur quelques nattes dans un coin,,
à quelque diftance les uns des autres.
.Les prifonniers , qui étoient au
m ême. endroit avoient la plupart, les
fers aux pieds,& leurs chaînes étoient
fi courtes, qu’ils avoient de la peine
à fe remuera Ils, avoient.. outre cela
chacun un garde en dedans,. outre
ceux de dehors, pour les empêcher
de s’évader. Cette prifQn .faite.de
poutres:, étoit allez,élevée, petite,
quarrée, Sc ouverte par en haut;
mais il y avoit quelques .endroits
couverts ;en dedans. La curiofité
m’aïant pôrté, à voir ces hermites
une fécondé fois , j ’appris .qu’on
les avoit fait tranfporter dans une
■ maifon ¡vpifine, & qu’ils y devoient
' demeurer jufques à nouvel ordre.
Viàoite On ¡reçut, vers, la fin de ce mois,
ttefuMcsi^ .nouvelle d’une, autre viêtoire ,
Suédois. ’ remportée fur les Suédois par les
Troupes de fa ¡Majefté. L ’Impera-
trice m’ènvoya quérir peu après.,
& m’ordonna; de; peindre, une- feV
conde fois, les,jeunes Princeffesien
grand,. &. habilléés,comme la première.
J’aurais bien voulu m’en .dit
penfer, & la fuppliai très-humble-
ment de m’exeufer , fous prétexte
qu’il falloit que je pourfuiviffe mon
voyage : Mais .comme je trouvai que
à Mofcou. en partirent- pour Te ren- ta.
dre à Archangel, :Np,us„ les çondui-
fimes; comme les .autres:, félon lacou-
tume, ■ à 1 o. werjles de cette capitale,
jufques :à-un village, fituéfur la
Toufe, où-,i’qn fit tendre quelques
tentes pour y relier quelque tems,
en compagnie de plufieurs dames,
Enfuite , après-,, avoir bû au bon
voyage .„de;, nosiamis',, nous retournâmes
à la ville comme nous.-étions
Venus.
Quelques jours, après, me promenant
dansyle jardin derrière notre
maifon ,1e fufil à la main, comme
je faifois affez fçuvent., pour
me divertir en tirant des becaflines
& des canards, dans le vivier, ou fur
la riviere de Toufe, j ’apperçus une
grue en l’air, au défilas de ma tête.
Je mis auffi .tôt une balle dans mon ne grue,
fufil, ces oifeaux-là ne fe pouvant
guerè tuer avec des dragées , & j ’eus
le bonheur dei’atteindre & delà faire’tomber
dans le vivier, Cela étoit
affez. extraordinaire , parce qu’on
voit, peu de ces oifeaux-là en ce
païs-ci. Il y a pourtant despgrfon-
nes qui en .ont à la campagne pour
leur plaifir, .mais ils les font venir
d’ailleurs.; Je. la fis,ratir,& trouvai
qu’elle avoit le goût .marécageux,
C h a p i t r e IX.
Defcription de Mofcou. Nombre des Eglifes & des MonafTeres dg
cette ville , avec plufieurs autres particularitez.
IL eft tems de parler un peu plus
particulièrement des Etats de fa
Majefté:Czarienne, qui m’a fait là
grâce de me. permettre de fa propre
bouche, d’écrire en toute liberté,
ce'que je jugerais qui méritoit
de l’êtrej fans m’êloigner de la vérité.
Je commencerai, par la ville de
Mofcou , . que;j’ai deflinée.du haut
d’un des Palais de.ee Prince, nommé
WorobjoràJa., bâtiment de bois
d’une grande étendue : à: deux éta-'
ges. Il contient en bas 124 chambres,
& autant :en haut ,. à ,ce que
je’ croi ; & elt entouré d’üne murail