35*
1706. rnaifons
V O Y A G E S
qui s’y trouvent ne font
. Juill, pas grand’ chofe, 8 c les arbres, dont la
L e château.
ville eft entourée, empêchent qu’on
fi’en voye le refte, 8c le château de
ce côté-là. Pendant que j’étois occupé
à la deiïïner, je vis paroître,
à diverfes reprifes affez près de moi,
un crocodile, qui s’éleva plufieurs
fois au-deffus de l’eau.
Quant au château c’eft un grand
bâtiment quarré, affez long, ceint
d’une haute muraille , avec 4. bâfrions
8c deux demi-lunes entredeux,
8c qui a près d’un quartdelieuëde
tour. Il eft bien pourvû d’artillerie
, & a une garnifon Hollandoiji
d’environ 400. hommes.
Deicrip- La ville eft bâtie fur le rivage de
Uondela ja mer , gc a bien deux lieuës de
T1 e' tour. La plupart des maifons en
font fort chetives, faites de branches
d ’arbres,& couvertes de feuilles. Elle
a auffi des fauxbourgs, 8c des cabanes
le long de la côte de la mer, &
du côté de la terre, & eft fort peuplée
& remplie d’enfans.
J ’y trouvai de très-bonnes anguilles,
& en grande quantité , dont je
remplis quelques pots pour en faire
prefent à mes amis à Batavia.
T out le commerce de ce quart
ie r i! ne confifte qu’en poivre. Le
grand port y a près de trois lieuës
de tour, & eft aulïï large que long
à l’entrée, de forte quelesvaiifeaux
y font en pleine fureté. C’eft le plus
grand que j’aye jamais vû. Ce
Royaume eft dans la partie meridionale
des Indes Orientales-, fur la côte
feptentrionale, à l’oueft de l’Ile
de Java, proche du détroit de la
Sonde -, à 24. ou 25. lieuës de Batavia
â l’ouëft.
Anguilles.
Commerce.
Canon. J ’allai me promener fur l’eau dans
lé Car unie, lequel eft rempli de tom- 1706.
beaux, à une lieuë de Bantam, fur n. juilL
le bord de la grande riviere , qui
vient des montagnes. Ce font ceux Tom-
des familles des Rois de Bantam. beaux-
Le principal édifice en eft tout ruiné
, & tous les autres en font des
plus communs 8c dans des lieux couverts.
On y voit plufieurs corps à
côté les uns des autres, fans aucunes
tombes, Amplement couverts de
terre, un peu élevée au-deffus de la
fuperficie , avec de petites pierres
jointes en forme de tombes. Celieu-
là eft ceint d’une feule muraille. A
notre retour ttous allâmes nous lavfcr
dans la riviere,proche d’un jardin,
où le Roi prend quelquefois le
même divertiffement»
Nous abordâmes proche de la vil-
le pour aller rendre vifite à une dame,
qui avoit i30.an s,d o n tleR o i
m’avoit parlé, 8c qu’il m’avoit ordonné
de voir. Elle demeürôit a-Damé
vec une grand’tante de fa Majefté, fort âgée.'
qui avoit la direftion de toutes, les
danfeufes, Comme nous venions de
la part de ce Prince, on nous intro-
duilit dans l’appartement des femmes
, qu’on voulut faire danfer ,
croiant que nous venions pour cela,
mais je les remerciai, en difant que
j’avois déjà joui de ce divertiffe-
ment-là , furquoi on me mena auprès
de la tante du R o i, à laquelle
je rendis grâce de l’honneur qu’elle
m’avoit Voulu faire, 8c lui dis que
je fouhaitois feulement de voir cette
vieille dame. Quelques demoi-
felles curieufés de me voir m’y con-
duifirent, & je la trouvai dans un
affez pauvre appartement, alïïfe fur
une efpece de table, couverte d’une
I toile grife, à la maniéré du pais, 8c
un Canot. Ce font de petites bar- la tête nuë. Elle étoit encore affez
ques du pais, pointues par les deux fraîche & avoit la voix affez ferme,
bouts, 8c formées de la tige creu- mais elle étoit fi foible des jambes
fée d’un certain arbre qu’ils appel- qu’elle ne pouvoir plus fefoucenir,
lent Bayer-fouriam , 8c qui font la aulïï n’avoit-elle plus quelapeau 8c
plupart d’une groffeur furprenante. les os. Comme le jour commençoit
1 ________ 1 b _____— »./TV,». L .'i,« â L I o k n i /T p f ti» n e Ces barques-là vont affez bien à la w m r n n p r n o r i n p l l f * .
rame. J ’étois accompagné d’un certain
PruJJien , établi depuis long-,
tems dans ce païs-là, dont il favoit
bien la langue 8c toutes les maniérés.
Nous allâmes à un lieu appela
baiffer, je fis venir une chandelle,
que je pris d’une main, & mis l’autre
devant, f 8c demandai à cette dame
,fi elleJa yoy.oit bien. Comment
la verrois-je, reprit-ell t,pûis que vous
tenez la main devant ? Cependant
elle
1706. ne pouvoit plus diftinguer les
n. juiji. traits du vifage. Je lui demandai
enfuite, pour éprouver fa mémoire
, d’où elle étoit i Je fais native de
Jakatra, me dit-elle, c’eft l’ancien
nom de Batavia, avant qû’elle fut
prife par la Compagnie, il y a 97.
ans , 8c je vins habiter en ma jeu-
neffe à Bantam, ou f a i connu 7. Rois,
qu’elle nomma tous par leur nom.
Elle mangeoit cependant toujours
comme à l’ordinaire, mais elle tom-
boit de tems en tems dans l’enfance,
8c alors elle ne demandoit point
à manger, mais on prenoit foin de
lui en donner. Au refte , elle a-
voit les yeux fort enfoncez dans la
tê te , 8c les cheveux tous gris 8c fort
minces , 8c fon grand âge lui avoit
courbé tous les doigts en dedans.
Après l’avoir affez confiderée, nous
primes congé de la tante du Roi,
que nous remerciâmes de fes hon-
nêtetez.
Le lendemaùi, je me préparai à
partir fur le foir, dans une barque
du païs n’aiant pas voulu m’en retourner
dans le vâiffeau qui m’avoit
amené , 8c qui avoit fait voile le
’ jour précèdent, parce que les vents
contraires retiennent fouvent ces
vaiffeaux-là long-tems en chemin,
dans la faifon où nous étions. J ’avois
prié Mr. de Wys dem’eniouer
une , ' cés barques- là faifant ordinairement
le trajet en 24. heures;
mais il eut la bonté de me donner
la fienne, qui étoit plus grande Sc
plus commode , 8c je m’embarquai
fur les 7. heures du foir avec Monfr.
Kaef, qui s’en retourna avec moi.
Le Commandant 8c Mr. de Wys
me chargèrent de leur reponfe à
Mr. le General , 8c je leur rendis
mille grâces de toutes leurs bontez. 0g,
Mr. le Commandant voulut même iïijüiii.'
m’accompagner hors de la porte de
la ville, où je trouvai Mr. de W-ys
8c le Secrétaire, qui m’attendoient
pour me dire adieu.
Le port qui eft de ce côté - là , Départ
n’eft ni large ni profond , de forte famf an'
qu’il faut fefervir de la perche pour
faire avancer la barque, ce qui eft
fort ennuïant, parce qu’elle n’avance
guère. Lors que nous en fûmes
fortis, il fallut mouiller l’ancre
pour attendre le vent de terre, qui
s’éleva-peu après. Nous avançâmes
tellement pendant la n u it, par un
beau clair de lune, qu’a la pointe
du jour nous atteignîmes le vaiffeau,
qui étoit parti la veille , 8c qui a-
voit le vent contraire. Ainfi, en
côtoyant toujours, 8c paffant entre
les Iles, nous arrivâmes à Batavia Retour à
fur les 3. heures après midi. J e fur- Batavia,
pris Mr. le General, qui ne m’at-
tendoit pas fi-tôt, Sc lui fis les com-
plimens du R o i, en lui rendant les
lettres, que j ’avois pour lui. Je lui
rendis aulïï compte de tout ce qui
m’étoit arrivé , dont il parut très-
fatisfait. J ’allai enfuite rendre mes
devoirs à l’aneienGeneral, qui fut
ravi de l’heureux fuccès de mon
voyage.
J ’apportai de Bantam quelques O i fa u x
petits oifeaux, que je mis dans de itranS«s.'
l’efprit de vin pour les conferver»
Le plus beau avoit une taché-vio-
lete au-deffus de la tête , 8c fefto-
mac d’un beau rouge aulïï-bien que
la queuë: tout le refte en étoit vert.
Il y en avoit d’autres plus petits,
aulïï verts , avec le deffous 8c la
queuë rouges, 8c d’autres qui avoient
les mêmes parties grifes.
C h A -