L E S R E M A R Q U E S
4.56 L E T T R E S Ü R
Dieu Mars, fur le témoignage du
même Strabon, qui dit (a ) , qu’ils
honoroient le Dieu de la Guerre,
fur tous les autres Dieux, & que les
peuples de la Garmanie , Province
fujette aux Perfes, lui offraient des
mulets, parce qu’ils s’en fervoient
à la guerre au lieu de chevaux. Cependant,
comme Xenophon dit (V),
que Cyrus offrit des chevaux au Soleil
, Sc Paufanias ( c ) que les
Perfes ont facrifié des chevaux &
d’autres bêtes à cet aftre du jour,
on peut en convenir ; mais on
ne doit pas conclure de là, que
les figures de l’efcalier de Chelminar
repréfentent la proceffion d'un Sacrifice,
ni que ce lieu-là ait été un
certains ufàges des Perfes modernes
& des Indiens , je ne voi pas qu’il
en puiffe tirer un grand avantage,
puifque les perfonnes éclairées n’ignorent
Temple de Perfepohs ; puis qu’on
égorgeoit, le jour de la naiffance
des Rois, appellé autrefois Tycla,
plufieurs chevaux, des mulets, des
boeufs, des cerf s, Si des brebis, dont
leurs fujets leur faifoient prefent I
pour leur table, comme le rapporte
Athene'e ( d ) , d’après d’anciens Auteurs
Perfans, dont les ouvrages, ne
fubfiftent plus depuis long-tems. De
forte, qu’.il y a bien plus d’apparence
que ces figures repréfentent une
de ces fêtes-là, qu’un facrifice. Qui
plus eft, Hérodote , qui vivoit du
tems de Xerxés le Grand , lorfque
la Monarchie des anciens Perfes é-
toit au comble de fa gloire, dit
qu’ils n’avoient aucunes Images des
Dieux, ni Temples , ni Autels, &
même qu’ils fe. moquoient de ceux
qui en avoient, & qu’ils fe conten-
toient d’offrir leurs Sacrifices. fur
des lieux élevez, & purs ( e ) , cho-
fe confirmée par Strabon (f). Je
çroi que cela fuffit pour prouver
que les ruines de Chelminar ne font
pas celles d’un Temple, puifque les
anciens Perfes n’en avoient pas ; 8c
par conféquent que ce font celles
d’un Palais , auquel ces figures 8c
ces ornemens conviennent beaucoup
mieux : car quoi que Monfieur Char-1
din tâche . adroitement d’autorifer
fon fentiment, en comparant les re-
préfentations de cet efcalier à de
pas, que les coutumes des
modernes, là comme ailleurs, différent
fort de celles des Anciens, 8c
fur tout eu égard à une antiquité
de plus de deux mille ans. Ausfi,
j fuis-je perfuadé , qu’au cas qu’un
I des Bataves, qui vivoient il y a
mille ans, revînt fur la terre, il ne
reconnoitroit affurément rien aux
maniérés, à la langue , aux vête-
mens, ni aux moeursdefes compa-
triotes. Les" coutumes & les maniérés
des Guebres d’aujourd’hui, 6c
celles des Payens des /«¿m, que Mr.
Chardin appelle fi fouvent à fon fe-
cours,, ne lui font pas plus favorables
: ces Guebres différent pour le
moins autant des anciens Mages,
que les Juifs modernes, de leurs ancêtres
orthodoxes, 6c que la pluf-
part des Chrétiens le font à prefent
de l’Eglife primitive, tant par
rapport aux moeurs qu’à la doftri-
ne. Les Guebres d’aujourd’hui, font ■
de pauvres ignorans , qui ont perdu
par la fuite des tems, 8c par les
grands changemens, qui font arri-
; vés en Perfe , la véritable connoif-
fance du culte de leurs Ancêtres,
I dont ils n’ont retenu que la lettre ,
comme les Samaritains ont retenu
le Pentateuque. Il eft même àp.re-
fumer, que les Grecs, qui adoraient
les faux Dieux , introduifirent de
leur tems , beaucoup de nouveau-
tez dans le culte des Perfes , fort
oppofées à leurs anciennes maniérés.
11 eft vrai, que les Parthes 6c
une autre race de Rois Perfans , y
régnèrent, quelques fiècles après
eux : mais il y a bien de l’apparence,
que les Sarajins, qui s’en rendirent
maîtres enfuite, fous les premiers
Caliphes-, les Tartaresims'Ta-
merlan, 8c puis,les Turcs, ne manquèrent
pas ausfi d’y introduire plufieurs
grands changemens, foit par
addreffe ou par tyrannie , lefquels
n’ont pas peu contribué à obfcurcir
6c
(c) In Lacon. S. lit. III. c. l o . (d) L .
( f ) Lib. XV. p. m.f73z.
fa) Cit.-lib.-p. m. 717- 00 L- VIII. Cyrop. c.24.
IV . p. m . i4 î .& c . (e) V o y r a cit. lib. I, cap. 13 1 . 8c 13a.
D E C O R N E I L
6c à brouiller encore davantage les
affaires des anciens Perfes. Les Indes
n’ont pas été moins fujettes à
ces fortes de changemens 6c de révolutions:
mais comme cela n’eft pas
de notre fujet je ne m’ y arrêterai
pas. D’ailleurs , j ’avoue franchement
que j ’ajoûte beaucoup plus de
foi à ce que les anciens Hiftoriens
Grecs ont obfervé des moeurs 8c des
coutumes des premiers Perfes, foit
en paix foit en guerre , à la feule
referve de ce qui regarde le culte
religieux , qu’à toutes les hiftoires
fabuleufes des Perfans modernes.
Cependant, les Guebres de notre
tems font eftimables en ce qu’ils rejettent
abfolument le culte des faux
Dieux 8c des Idoles , 6c qu’ils ne
reconnoiffent qu’un feul Dieu ; en
ce qu’ils rendent juftice à leurs ancêtres
à cet égard , 8c déclarent
qu’ils ne .: rendent aux planètes
qu’un honneur extérieur, comme le
remarque Monfieur Hyde dans fon
Hiftoria Veter. Perfar. Religionis,
chofe qu’il dit avoir tirée de leurs
propres écrits , 8c que vous avez
apprifc deleurproprebouche, comme
vous le marquez au Chap. 79.
pag. 387. de vocre Voyage. Il me
femble, qu’il n’en faut pas davantage
pour réfuter, ou du moinspour
affoiblir la fécondé raifon de Monfieur
Chardin , puifque fi les anciens
Perfes n’ont pas été Idolâtres,
il s’enfuit que les figures de
l'efcalier ne fauroiènt être chargées
des chofes dont les véritables Payens
fe fervoient dans leurs facrifices,
pour les porter à ce Temple prétendu.
Elles prouvent même le contraire
, de la maniéré que vous les
repréfentez, conformément à l’hif-
toire ,8c à la raifon. Au refte , je
ne dirai rien à l’égard des fautes
qu’il a commifes par rapport à ces
figures, puifque vous les avez fuf-
fifamment relevées, 8c que perfon-
ne n’en faurqit mieux juger que
vous. Les Hiftoriens vous favo-
rifent aüfli , puis qu’ils nient tous
que les anciens Perfes aient facrifié
des créatures humaines,commefai-
Tom. II.
(a) L , I. c. 2.16. (b) L . XI, pag. m, 513. a,
L E L E B R Ü J l . '457
foient les Majfagetes, félon Herodo-,
te ( a) , èc Strabon (b): 8c ces mê-1
mes Auteurs n’auroient affurément
pas manqué de le dire, au cas que
les Perfes l’euffent fait comme eux.
Quant aux figures, que Monfieur
Chardin reprelènte portant des jambes
humaines , Vous avez ; ce me
femble, fufïifamment prouvé, que
c’eft une pure imagination , outre
qu’il eft impoflible que cela foit,
le tout bien confidéré. On peut
encore moins concevoir que les fécondés
figures de chaque bande,
que la première mene par la main,
foient deftinées à fervir de vie-,
times, puis qu’il s’en trouve, qui
ont une machine au côté gauche,
qu’il nomme un étui d’arc , à la
pag. 69 c mais il y a bien plusd’ap- Tom.lli
parence, que c’eft un Gerra, oùvf f f£ t
bouclier de cordes 8c de cuir , que -14-
les Perfes portoient au' côté gauche,
8c un poignard fur la hanche
droite , comme le marque Hérodote
f c) , en parlant dés armes des.’
anciens Perfes. Les 58. 8c 59.
planches de Monfieur Chardin eu
font f o i , puis qu’on Voit ce bouclier
dans la première, où les figures
paroiffent à gauche, 8c particulièrement
à celle qui eft marquéé
(de la lettre 0 , 6c le poignard à celles
qui font à la fécondé , où elles
■font tournées à droite, habillées
comme les précédentes , dont le
poignard ne paroit pas , mais on
voit les deux bouts de l’étui des
autres : or il me femble, qu’il n’eft
guère naturel de conduire des vie -
times à l’autel , le bouclier 8c le
poignard au côté. On voit de plus,
au même num. 58. de ce Chevalier
, une perfonné de diftinéiion,
marquée A. laquelle en conduit u-
ne autre la Tiare fur la tête , dont
le vêtement reffemble à celui d’un
Mage , ou de quelque prêtre : 8c
cependant, félon Monfieur-Char2
din,cette figure doit fervir de victime
, chofe allez extraordinaire.
Celle qui eft marquée R. au même
num. 8c les 4. fuivantés , ont uri
inftrument à la main , qu’il nom-
N n n -me,
(c) h . V I I . C; 61.