U ° 4-
6. Mai.
Mâniefe
de ce
deuil*
pagnons; proche d’un lieu nommé
Kierbila, oùceft fon tombeau, & où
les Perfes, qui l’eftiment leur verir
table lman ou chef, fe rendent, de
tous côtés avec une dévotion toute
particulière. Auffi , le Roi Abas
le Grand faifoit-il gloire d’en être
defeendu , chofe dont les Turcs ne
conviennent pas. Ce deuil dure dix
jours de fuite. On fe rend dans les
rues par petites troupes de i o. à 12.
perfonnes à demi nues, quifenoir-
cifl'ent le vifage, 8c ne reffemblent
pas mal à nos ramoneurs de cheminées
j fpeclacle affreux ! Ils affeétent
un air mortifié,. & chantent des lamentations,
au fon.de certaines caf-
tagnettes, dont on a déjà parlé. Le
meurtre de ce Saint eft reprefenté
par des perfonnes armées , & par
fon image , qui eft fort grande &
creufe, 8c mife en mouvement par
une perfonne renfermée dans c e :
creux, dont-on voit,vifiblementles
jambes. Ceux qui affiftent à cette
lingerie, & qui conduifent cette
image, .en font recompenfés parles
fpe&ateurs, qui leur donnent . de
certaines petites-pieces-d.’argent dé
peu de valeur: à la vérité , il s’en
trouve qui font plus, libéraux. Au
relie, on prêche publiquement,dans
les ruë.s, pendant ce tems-là , foir
8c matin, .Se fur tout dans. les carf
refours, & autres lieux les plus fréquentez,
qu’on a foin de tendre de
tapifferie , & de couvrir de tapis.
On orne auffi les murailles de bau.-
cliers & d’autres armes, 8c les chai-
fes où montent les prédicateurs font
élevées de cinq à fix marches. Ils
tiennent quelques papiers écrits à
-la main, fur lefquels'ils jettent fou-
vent les yeux, en faifant l’éloge, 8c
en racontant les aillons 8c les merveilles
du Saint. Un fécond prédicateur
, qui eft placé quelques dé-
grés au-deffous du premier, entonne
à fon tour, les louanges de Huf-
fein, en chantant à haute voix.. Les
endroits où fe font ces difeours font
remplis de fieges 8c de bancs: J’eus
la curiofité de m’y rendre avec quelques
amis, St on ne nous eut pas
plûtôt apperçus qu'on nous fit donner
des fieges, à la confideration
de notre Direéteur qüi étoit fort efti- r y q à,
mé à Ifpahan. J ’y reftai une bonne 6. Mali
demi-heure , 8c obfervai que tous
les auditeurs fondoient en larmes,
attendris par l ’éloquence de leurs
Poêteurs. On avoit placé au coin
de Ja muraille , du lieu où nous é^
tions, une grande figure allez contrefaite,
remplie de paille , repre-
fentant le meurtrier de Hujfein, nommé
Omaer , qu’on fit -brûler fur le
foir, en plufieurs endroits de la ville.
Ces prédications ou difeours-
là , fe font auffi pendant la nuit en
plufieurs grandes places, fur de
grands théâtres érigez pour cela,
avec des latis, fur lefquels on place
plus de 1000. lampes,mais avec
fi peu d’addreffe 8c de cirçonfpec-
tion, que le vent en éteint la meil- _ "
lèure partie. Au. relie le nombre
des fpe£lateurs eft inexprimable
;N
ous célébrâmes la, fête de laDanfede
Pentecôte le dimanche fuivant chez ga™on«,
notre Direfteur. Il s’y rendit deux
bandes de jeunes garçons,, de hauteur
à peu, près, égale, 8c très-proprement
vêtus .pour danfer félon la
coutume.. Ils tenaient de certains
petits bâtons., qu’ils frapoient l’un
.contre l’autre en danfant , 8e ils é-
toient accompagnez de deux ou
trois hommes de leur quartier, qui
chantoient., Ces danfeurs,fe paf-
foient continuellement.les: bras par
delfus la tête avec une célérité inexprimable.,
8c des attitudes 8c des
mouvemens charmans. Ceux-ci dévoient
être fuivis d’une plus grande
bande; mais elle rencontra en
chemin celle d’un autre quartier,
qui l’attaqua, 8c l’arrêta fi long-
tems qu’elle ne • put s’y rendre ;
outre qu’elle devoit auffi aller à la
Cour ce foîr-là.
Mais,pour retourner à notre fu-
j e t , la principale folemnité de ce
deuil ou de cette pompe funèbre,
fut une grande proceffion, qui Lé
fit le lendemain. Je me rendis pour
la voir, dans une- boutique du Ba-,
Zar, devant laquelle elle devoit
palfer.
Cette Proceffion fut précédée Grands
de quelques archers à cheval, dug™_
Dero-
1704.
. Mai.
Deroga,, fuivis de chanteurs , tenant
chacun un cierge a la main,
8c couverts d’une vefte viólete ou
noire, convenable a cette folemnité
8c aux lamentations qu’ils fai-
foient. 11 y en avoit ausfi plufieurs
•à demi nuds, Sc d’autres qui por-
toient un grand étendard noir roulé.
Il parut après eux trois chameaux
, fur le premier defquels il
y avoit deux garçons prefque nuds,
trois fur le fécond , l’un derrière
l’autre , 8c fur le 3. l’image couverte
d’une femme,avec un petit garçon.
Puis cinq autres chameaux,
fur chacun defquels il y avoit 7. à
8. petits garçons, ausfi prefque nuds
dans des cages de latis, 8c deux drapeaux
après eux. Enfuite, un chariot
avec un cercueil ouvert contenant
un corps mort;fuivi d’un autre
couvert de blanc 8c de quelques
chanteurs. On vit paroitre après
cela, un chariot chargé d’encens a-
: vec deux perfonnes , 8c quatre petits
garçons , tenant chacun un li-
vre à la main, 8c aiant une table devant
rire, non-obftant que nous encon- 1704.
nuilions tout le ridicule , ,8c toute c. Mai.
la forfanterie. .Ce chariot fut fuiyi
de plufieurs jeunes gens les uns ga- _
rottés, les autres les mains libres,
accompagnez de gàrdes , armés de
bâtons, dont ils les menaçoient de
tems en tems, fur quoi ils fe cour-
boient 8c, baifloient la tête le plus
naturellement du monde. Ceux-ci
étoient fuivis d’un grand chariot,
tiré par des hommes , comme les
autres , auffi.couvert de fable en-
fanglanté, fur lequel on voyoit deux
corps morts, 8c quatre autres, dont
il ne paroiffoit que. les têtes. Six
jeunes tourterelles alloient 8c ve-
noient dans ce chariot, après lequel
il en parut un autre, d’où fortoient
des bras 8c des jambes , 8c dans lequel
eux. Ce chariot étoit entouré
de plufieurs machines :, qui ref-
fembloieut à des lampes étamées, 8c
étoit fuivi d’un grand étendard roulé,
8c de douze foldats armez, l’ar-
met en tête; 8c ceux-ci de deux petits
garçons plaifamment habillez,
8c ornez de plumes 8c de fonnetes.
Puis, un cheval monté par un jeune
prifonnier , fuivi de 16. autres
enchaînés l’un après l’autre , 8c de
cinq garottez. Après ceux-ci, parut
Un chariot cou vert de fable, d’où
fortoient 6. tètes couvertes de fang,
dont les corps ne paroiffoient pas,
de maniere qu’on auroit dit qu elles
étoient coupées. Uy avoit deux
perfonnes habillées fur ce chariot,
lequel étoit fuivi de celui qui por-
toit le corps àe, Hujfein, reprefenté
par un homme armé, tenant un fa-
bre à la main. Il étoit tout couvert
de fang, pour animer d’autant,
plus la douleur 8c le deuil des af-
fiftans, dont les gemiffemens 8c les
lamentations étoient inexprimables.
Auffi, faut-il avouer qu’on ne fau-
roit rien voir de plus touchant que
ce fpe&acle , dont nous ne pûmes
il y avoit deux cierges allumez.
Puis un troifième , avec 6.
têtes 8c deux perfonnes habillées,
fuivi d’un autre avec un corps mort
armé, 8c un malade. Enfuite deux
drapeaux ; un cheval avec la fellc
de côté, accompagné de deux tambours
8c de chanteurs ; 8c un autre
chariot, fur lequel il y avoit deux
cercueils, 8c deux petits garçons le
livre à la main, qui les embraffoient
de tems en tems , 8c faifoient leur
rôle à merveille. Celui-ci en pre-
cedoit un autre d’une grandeur extraordinaire
, contenant 10. ou 12.
corps morts, dont on ne voioitque
les bras 8c les jambes enfanglantées,
avec 5. ou 6. prifonniers, fuivis
d’un jeune homme à cheval, percé
de fléchés, 8c tout couvert de fang,
qui paroiffoit étranger , 8c prêt à
tomber de foibleffe. Après lui on
vit paroître un cercueil couvert de
drap noir , accompagné de chanteurs
8c de danfeurs, qui fembloient
le conduire en triomphe ; 8c on por-
toit après eux trois lances garnies
de pierreries. Enfuite un cheval
chargé d’arcs 8c de fléchés, d’un turban
8c d’un grand étendard. Puis,
cinq autres chevaux chargez de boucliers
, d’arcs 8c de fléchés ; 8c trois
javelots, fur la pointe defquels il
paroiffoit une main. Enfin, cette
proceffion étoit fermée par un cheval
richement enharnaché, fur le