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1702. cinq traîneaux, dans les trois pré-
janv. niiers defquels, on avoit placé les
trois dofteurs Allemands ,&t dans les
deux autres les deux ' plus anciens
marchands de notre pais. Ceux-ci
furent fuivis d’un grand chariot
couvert de drap rouge, deftiné pour
les deux Impératrices: C ’eft ainli
que les Rujjiens nomment celles,
dont fa Majefté Czarienne fait
choix pourafïifter, comme femmes
de l’E tat, à cette ceremonie. La
première de ces dames, femme du
Knees, Fudder Seurfevoitz Romoàa-
noski ,. lequel commande à Mofcou,
en l’abfence de fa Majefté, ne s’y
trouva pas, parce qu’elle.étoit in-
. difpofée;de forte que l ’autre,femme
Slvanaviitz Boeterlien en fit feule
la fonction. Elle avoit fur la tête
un petit chapeau de feutre blanc,
en pain de fucre, à petits bords,
aiant deux filles d’honneur, ailifes
fur le devant du chariot. Il étoit
trainé par douze chevaux blancs,
8c entouré de plufîeursdomeftiques
habillez de rouge. Ce chariot étoit
fuivi de 25. autres plus petits, couverts
de même, attelez de deux chevaux
blancs, dans l’un defquels é - 1
toit la mariée, 8c les dames RuJJiennes
dans les autres. Il y avoit entre ces
chariots un méchant petit traîneau,
attaché à la queue d’ün pauvre cheval,
dans lequel étoit placé un petit
homme d’aulïï mauvaife apparence
que fa voiture, habillé à la Juive. Je
me doutai bien qu’on le trainoit de
cette maniéré pour quelque faute
commife, comme je l’appris enfui-
te de plufieurs qui leconnoifibient,
8c que c’étoit pour le punir qu’on
lui faifoit faire ce perfonnage-là;
qu’il étoit effectivement de race
Juive-, mais qu’il avoit embrafféle
Chriftianifme. Il vint enfuite fept
autres traîneaux remplis de demoi-
felles de notre nation , fuivis de
quelques chariots vuides, qui fer-
moient la cavalcade. Elle traverfa
ainfi le château & une partie de la
ville, jufques à l’églife deBogojaf-
tenja ou de l’Annonciation, où fefit
la ceremonie du mariage , en pre-
fence du Czar 8c de plufieurs per-
fonnes de cette illuftre affemblée.
Ma curiofiré étantfatisfaite, je re- 1702.
tournai à mon auberge , 8c choifis ïÉ-
enfuite, une bonne place dans la
Slabode piout les voir aller, au lieu,
où fe dévoient faire les nôces. Ils
n’y arrivèrent qu’à trois heures a-
près midi,, au nombre de 500. per-
fonnes, tant hommes que femmes,
qui entrèrent en des appartemens
differensjoù les hommes 8c les femmes
ne pouvoientfevoir. La Prin-
ceffe, foeurduCzar, l’Imperatrice
douairière 8c fes trois filles, furent
placées à une table particulière, a-
vec quelques dames de la Cour.
La mariée à une autre avec d’autres
dames ; 8c celle qui repréfentoit
l’Imperatrice, feule dans un endroit
élevé. Les autres dames, tant Ruf-
fienn^s qu’étrangeres, étoient dans
un autre appartement;. 8c on avoit
placé la mufique dans un lieu ,
d’où on la pouvoit bien entendre.
Après le repas , qui fut royal, 8c
qui dura quelques heures, oncon- .
duifit les mariez au lieu où devoit
fe confommer le mariage, à une petite
diftance de la maifon, fur lari-
I vieré d’Toufe. C ’étoitune barraque
faite exprès, où l’on avoit dreffé un
lit affez ordinaire. La meilleure
partie de l’affemblée fe fepara entre
dix heures 8c minuit. I l en refta cependant
, une grande partie à la
Slabode, dans desmaifons préparées
8c marquées pour cela, par ordre
de fa Majefté Czarienne /'afin que
les Riijjiensptittent fe raffembler plus
facilement le lendemain, au lieu où
la nôce s’étoit faite, pour aller de là
à l’hôtel du General Major Menefius ,
où fa veuve demeure encore à pre-
fent. Celle, qui repréfentoit l ’Imperatrice,
y paffa la nuit, 8c la nouvelle
mariées’y rendit de bon matin.
Le Czar s’y achemina auifi fur les
dix heures,fans fe faire accompagner
par des étrangers. Après y avoir demeuré
une heure de tems, il alla en
bon ordre à la maifon de Mr. Lups,
qui l’attendoit à la porté accompagné
de quelques marchands de notre
nation. Ce Prince s’y arrêta un
peu- avec fa fuite, fans defcendre
de cheval, 8c y fut régalé de quelques
liqueurs.
Je
1702. Je ne faurois paffer fous filenee
î7. Janv. une chofe, qui contribua beaucoup
Surprife
p la iia n te .
à réjouir cette compagnie. Le marié
étoit monté fur un très-beau ché-
val entier, 8c un autre feigneur fur
une jument, qui ne lui cedoit rien
en beauté , tous deux en chaleur,
8c préparez pour cela. Le cheval
ne manqua, pas de la couvrir, & lé
Cavalier qui la montoit s’en déba-
. raffa adroitement, fans que le marié
perdît les étriers, ce qui caufa
un éclat de rire univerfel. On avoit
déjà voulu le faire au fortir de-la
maifon, mais cela n’avoit pasréuf-
fi. Le Prince Czarien parut enfuite
à cheval, accompagné de plufieurs
jeunes feigneurs de fon âge,
un valet de pied mènantfon cheval
par la bride. Il fut fuivi du chariot
de la mariée 3 8c celui-ci du
grand chariot à douze chevaux, où
étoit celle qui repréfentoit l’Imperatrice.;'
8c de plufieurs autres
remplis de dames RuJJiennes.
Lors qu’on fut arrivé au palais, où
fe faifoient les noces, 8c où j ’avois
eu foin de me rendre par un autre
■chemin, fa Majefté y entra, 8cfut
fuivie de la mariée, qui paffa dans
un autre-corps de logis feparé,-â
gauche, où demeuroit autrefois le
' General le Fort. Le grand chariot
s’arrêta, pour faire place, ayant de
la peine à paffer à caufe de fa hauteur
, 8c ne pouvant tourner parce
que le chemin étoit trop étroit. Sur
ces entrefaites le jeune Prince Cza rien
defcendit de cheval, 8c fe mit
à côté du chariot ;. bù il refta jufques
à ce qu’il entrât, ce qu’il ne
put faire fans que l ’imperiale en demeurât
attachée au haut de la porte.
Enfuite de cela, le Prince tra-
yerfa la cour du palais, 8c l’Imperatrice
fortit de fon chariot, 8c monta
l’efcalier à droite. Les étrangers
8c leurs femmes s’y rendirent auîfi.
On y refta à peu près comme lejour
précèdent. Le troifième 8c le dernier
jour, on refolut des’habiller à
1 Allemande, 8c tout le monde le fit,
à la referve de quelques dames Ruf-
Jienne. On fe rendit ainfi , encore
une fois, chez les nouveaux mariez,
mais feparément. Les hommes 8c
les femmes s’y mirent à table en- I702
femble, comme parmi nous, 8c on -iS. j„nV.
danfa 8c fauta après le repas , à la
fatisfaéfcion du C za r , 8c de tous les '
conviés; Ainfi finit cette cérémonie,
que j ’ai crû qu’on ne feroit pas
fâché de lire, à caufe de fafingula-
rité.
Le deuxième Février , ù<sn- amena
dans des traineaux, une partie des
prifonniers. Suédois, dont011 a parle.
Le quatrième on vint ffle prendre
pour me conduire auprès de fa
Majefté, qui étoit au palais du
Prince de Menjikof, fon grand favori.
Ce palais fe nomme Sèt
meunofikie , nom d’un village, à
une demi lieuë de la Slabode. J ’y
trouvai fa Majefté occupée à
faire l’épreuve de quelques pompes
a eteindre le feu , nouvellement
arrivées de Hollande. Ce
Prince m’aiant apperçu me fit ap- L ’Auteur
procher, 8c rentra dans le palais. Par°nde-
Fous avez bien vû des chofes, me dit- cSr.
i l , & cependant je doute que vous en
ayez jamais vû une femblable à celle
qu'on va vous montrer. Il ordonna
en même tems à Un pauvre
Rußen , qu’on avoit fait venir
exprès , d’ouvrir fon habit. Je
frémis en le voiant. Il avoit une
excreffence au-deffus du nombril
à peu près de la longueur de la
main , 8c groffe de quatre pouces,
par où fortoit toute la nourriture Mal «-
qu’il prenoit; 8c ce pauvre mifera- " a" di~ .
ble avoit vécu neuf ans en cet état.
Ce malheur avoit été caiifé par un
coup de couteau , qui avoit tellement
irrité l’endroit du paffage ordinaire,
qu’on n’avoit pu y apporter
de remede. J ’avouai franchement
que je n’avois jamais rien vû
de femblable ; mais je dis que je
connoiffois un homme, qttirendoit
les alimens par la bouche, dont ce
Prince ne parut pas moins furpris:
Il fit enfuite preffer l’exereffence
de ce pauvre homme,qui avoit 37
ans, pour me faire mieux eonnoî-
tre la nature de fon mal, 8c tout en
fortit a demi digéré. Après avoir
difeouru près de deux heures avec
fa Majefté , qui me fit regaler de
quelques liqueurs , elle me quita,
D 3 8c