1.794*
i 9. Mai,
Haine
implacable
de
deux fre-
res.
Plufîeurs
A rm e - .
niens renoncent
'
la foi
Chrétienne.
vant eus, & en les accablant d’im-
poiitions ; ce qui eft arrivé deux
fois, pendant que j ’étois.en Perfe:
au lieu que fi la difcorde ne regnoit
pas- parmi eux,fils pourroient faire
de grandes chofes, l’argent, parle
moyen duquel on fait tout en ce
païs-là , ne leur manquant point.
Mais on ne fauroit exprimer la pente
naturelle qu’ils ont à difputer.
On en jugera par un exemple dont
j'ai été témoin. Deuxfreresavoient
un démêlé enfemble fur quelque
point de leur négoce , qui eft en
quelque maniéré l’ame des Arméniens.
Ils ne manquèrent pas de s’ap-
peller en .juftice , & l’ainé , qui .
étoit en poffefîion de la chofe difpu-
tée,aiant de quoi faire degrospre-
fens aux juges , ne manqua pas
aufli defeles rendre favorables. Celui
ci , qui étoit aveugle , dit un
jour, qu’il.étoit ravi d’avoir perdu
la vue pour n’être , pas expofé au
chagrin de voir fon frere, Sc qu’il
aie feroit pas fâché de perdre l'ouïe,
pour n’entendre jamais parler de
lui. Etrange effet de la haine! fori
frere, qui étoit marié en France,
où il avoit laiffé fa femme,8c d’où]
i l avoit amené deux petites filles ,
qu'il avoit, venoit tous les- jours
chez notre Direéteur implorer fa
proteétion contre l’injuftice de fon
frere, lequel vouloit le faire arrêter
par les juges Mahometans, comme
il avoit déjà fait une fois, dont il
ne s’étoit pu tirer fans recevoir bien
des coups de bâton.
Plufiéurs des principaux d’en-
tr’eux ont déjà renoncé leur Sauveur
6c abjuré la foi Chrétienne, pour
embraffer le Mahometifme, dans la
vûë de s’enrichir 6c de faire une
grande fortune.
Un de ces renegats , qui avoit
fait un pelerinage à la Meque, pour
y vifiter le tombeau de Mahomet,
revint chez lui, pendant que j’étois
à Ispahan. La plupart des Arme-,
niens ne manquèrent pas d’aller à fa
rencontre, 8c de lui faire mille hon-
nêtetez ; au lieu que perfonne ne va
au devant des pelerins Chrétiens
qui reviennent de Jerufalem, aux
quels on ne fait aucunes careffes.
L ’autorité des Mahometans eft fi
grande, en ce .pais, que deux moines
Portugais s’y font trouvez obligez
d’embraffer- le Mahometifme,
d’un en 1691. 6c l’autre en 1696.
Le premier, qui fe nommoit£/»a-
nuel, prit le nom de Hujfein Coelie-
beck, c’eft-à-dire, efclave de Huf-
fein, 6c l’autre qui s’appelloit Antoine
, celui à'Ali-Cieliebèck , ou
d’efclave à’Ali.
Le Convent de ces Peres Portugais
eft dans la ville : c'eft un beau
8c grand bâtiment rempli de plu-
fieurs appartemens. lime s’y trouve
cependant aujourd’hui, que le
Pere Antonio Deftiero , dont on a
parlé, .
Il y a aufli deux Capucins François,
dont le convent eft pareillement
dans là ville.
Les Carmes y ont aufli un beau
convent, avec un,grand jardin:
mais il ne s’y trouve qff un feul Carme,
qui eft Polonois-, 11 y en a cependant
deux autres, François ou
Danois ,qui font venus d’Italie, lcf-
quels demeurent dans une petite
maifon,qu’ils ont à Julfa;.o\x quatre
Jefuites ont fait bâtir une jolie
chapelle à l’Italienne, à côté de laquelle
ils ont une affez belle maifon
avec un beau jardin, bien entretenu.
Il y a de plus, trois Dominicains,
qui ont fait bâtir depuis
peu une nouvelle chapelle.
Il fe trouve plufieursiautres Eu-
ropeans., à J u if a, la plupart François,
6c trois Genevois, dont l ’un
eft Orfevre,6c les deux autres font
Horlogers , lefquels fe ‘ nomment
Siorde, de Finot 6c Batar ; 8c deux
Médecins , un François nommé Her-
met., 8c un Grec, natif de Smirne.
Ils y font tous mariez , à la refer-
ve de Finot., à des'Armenienes de
baffe extraftion, de force qu’ils ont
bien de la peine à fubfifter; outre
qu’il n’y a rien à faire ici pour les
étrangers, comme on l’a déjà obfer-
vé. De plus, les Perfes ont d’habù
les Médecins 8c d’affez bons Mathématiciens
parmi eux ; mais ils n’entendent
pas la chirurgie , 8c cependant,
on n’y fait aucun cas des
chirurgiens étrangers. Ils n’ont auffi
1704..
19. Mai»
Autorité
dés Ma-
liome-
tans en
Perlé.
Convent
Portugais.
Capucins.
Jefuites,
Dominicains.
1704 fi aucune confidération, pour ceux
»9, M a i ..qui font au fervice .du.Koi, dont
J les penfionsLe payent en billets.de
monnoye, fur d’autres villes, de*-
forte qu’ils perdent fouvent un tiers,
8c quelquefois même la moitié de
ce qui leur eft dû pour avoir de l’argent
Mr. K»r-
telein.
comptant.
Au refte, on ne fauroit feflàttér
d’y faire un bon mariage, puis qu’on
n’y a à peine un feul exemple , d’un
European marié dans up.e famille riche
ou de confidération. Aufli, n’y
font-ils pas plutôt mariez,. qu’ils
fé conforment aux moeurs 8c aux
maniérés- de leurs femmes, qu’ils ne
laiffent voir à aucuns de leurs compatriotes.
A la vérité ce- n’eft guerp
que parmi les François , car les Anglais
6c les Mollandois confervent
celles dé leurs-peres. J’én ai vû un
grand exemple en la perfonne de
L o u a n g e Monfieur Kaftelein, notre Direéteur,
de'a^oiH^dont la-femme,- perfonne de riaif-
mc ' fance 8c de merite, s’eft fait efti-
mef j 8c.-a'-été regretéé'd'un châcun.
Elle paroiffoit toujours avec' fa fille,,
âgée de i-ô. ans, à la' table de
fon mari, qui étoit ouverte à tous
les Européens ; mais lors qu’il at-
loit rendre vifite à ceux de J u if a ,
lesüleürsi-étoient invifibles.’ Aufli,
pour dire la- vérité, ils n’ont rien
retenu de leur patriê , que la langue
maternelle.
- Il n’en eft pas de même des étrangers,
qui demeurent à Conftantino-
ple, à. Smirne, 8c en d’autres, lieux
fous la domination des Xurc’s, où
les Greques, qu’ils époufent fe foü-
mettent fans peiné aux moeurs 8c
aux 'manierëS de leurs maris, 8c fe
conforment à leur religion, dans
laquelle elles ' élevent leurs enfans.
Au lieu que ceux des Armenienes,
ctou-t- on vient de parler, fuivent
celle de leurs meres.
Je n’ignore pas qu’on pourroit
m’alléguer ici l’exempledu fameux
Mariage Voyageur Pietro. délia Vaille ,■ Gen-
dePietro tilhomme ' Romain, qui fe maria à
Bagdat -, mais outre que l’amour
triomphe quelquefois de la fageffe,
un feul exemple n’eft pas une réglé.
Au refte, j ’efpere qu’on me
permettra d’impofer filence à ma
Louange
des Greques.
della
Valle.
plume,à l’égard de cetteav-anture, 1704.
8c de ce mariage, qui s’eft fait dans 19- Mai.
le. même convent, où'je logéai à
mon retour des JWetlpour épargner
la réputation de cet illuftre Romain,
qui nous a. laiffé - de -fi -belles -anti-
quitez.
. L’exemple des Arméniens, qui
ont embraffé lie Mahometifme,a. été fiÜuptsa"
fuivi par plufiéurs Géorgiens., grands G.eor-
■8c petits, dont on voit encore tous8'“ 5’
Jes.jours dés exemples. Aylll font-
ils aufli peu eftimez parmi les Europe
ans, que lés Arméniens. Il ne
laiffe pas de s’en trouver, qui ont
aquis une grande réputation dans
les armes, en Perfe'û ailleurs,
Avant de finir ce chapitre , jeMmiflrcs
dirai un mot en paffant des Minif- étransets*.
très publics qui fe rendent à la
Cour de Perfe avec des lettres de
quelques puiffancés delà Chrétienté
, 8c dont il y en a fouvent, qui
ne méritent'-affurément pas le titre
de Miùiftres, 8c auxquels on ne devrait
donner que celui de meffagers
ou de porteurs de lettres. Aufli,
pour dire la vérité, ne font-ils guère
d’honneur à- ceux qui les en-
voyent,puis que le feul but de leur
voyage n’eft que de s’exemter de
payer les droits des marchandifes
dont ils font chargés, privilège accordé
à tous ceux qui font nantis
de pareilles lettres au Roi àePerfe.
On leur fournit même les voitures
dont ils ont befoin , par tous les
lieux où ils paffent,8c on leur donne
de plus une certaine fomme par
jour, à proportion de leur fuite,
pendant tout le fejour, qu’ils font
à la Cour : fomme à la vérité, que
le moindre Miniftre .devrait rougir
de recevoir. Au refte, on ne fauroit
affez s’étonner, que les Princes
Chrétiens employent fouvent des
Arméniens pour rendre de fembla-
bles lettrés au Roi ; 8c que ces gens-là
aient Taddreffe de fe faire paffer
pour des gens de confidération auprès
d’eux. Cependant il eft certain
qu’ils n’ont ni honneur ni confidence,
8c qu’ils trompent 8c même
ruinent fouvent, fans fcrupule,
ceux q u i les accompagnent à la
Cour. Et quant à leur Religion,
la