1702.
j.J an v .
Vifite s
des Cîars.
v o Y A G E s
C h a p i t r e V.
L ’Auteur eft admis en la prêfence de fa Majefté Czarieme.
Confecration de l’eau, Feu iartifice a Mofcou.
1702-.
j .J a n r .
T Es Czars de Mofcovie fe font
I j accoutumez, depuis l’an 1649.
à rendre vifite aux principaux de
leurs fujets Sc aux étrangers, qui
demeurent à Mofcou & à la Slabode
des Allemands, un peu avant la fête
des Rois. O.n eft obligé de lés régaler,,
& cela fe nomme Slawaeien.
Ils y vont accompagnez des Princes,
feigneurs & autres perfonnes
de diftinction de leur cour. Cette
eeremonie commença cette année
1702, le 3 jour de janvier vieux fti-
le. Le Gzar fit fa première vilite
chez Mr. Brants , où fe rendirent
environ 300 perfonnes fur les
9 heures du marin, en traîneau &
à cheval. Les tables y étoient couvertes
en très-bon ordre, 8c furent
fervies d’abord de plufieurs délica-
tefles,de viandes froides , & en-
fuite de chaudes. On s’y divertit
très-bien, & la boiflbn n’y fut pas
épargnée. Sa Majefté fe retira fur
les deux heures, & fut delà, avec
toute fa cour, chez le fieur Lufs,
.où elle fut regalée de même ; puis en
quelques autres endroits. En fuite,
on alla fe repofer dans des maifons
préparées pour cela. Le lendemain
ce Prince fe rendit chez Monfieur
le RefidentHulft, m fortir de quelques
autres endroits. Ce Miniftre
me fit l’honneur de m’y inviter-,
après avoir parlé de moi à-fa Majefté
, à la recommandation de
Monfieur Witfen , Bourguemai-
tre & Confeiller de la ville d’Am-
fieràam. On me plaça dans une
chambre où le Czar devoit paifer.
Le hazard y conduifit le Knées ou
Prince de Troebetskooy , lequel ne
me connoiifant pas, & voiant bien
que j ’étois étranger, me demanda
en Italien fi j ’entendois cette langue.
Je lui répondis qu'oui, dont
il parut fort fatisfait, & m’entretint
aflez long tems fur le fujet de
l’Italie, 8c de plufieurs autres pais,
où il avoit été auffi bien que moi.
Il en alla rendre compte à fa Majefté
, qui eut la curiofité de venir,
avec toute fa fuite , au lieu où j ’é-
tois, Comme je nel'attendois pas f i L'Auteur
tôtjefus un peu interdit j maism’é-grlé
tant remis je m’addrefiai à elle avec
un très-profond refpeêt. Ce Prince
en parut furpris,& me demanda en
Hollandois, hoe weet gy voie ik ben?
en hoekomt gy my te hennen ?_ „ Com-
„ ment favez-vous qui.je fuis? .& -
,, comment me connoiiTez vous ? Je
répondis quej’avois vû fon portrait
a Londres, chez le chevalier Knfl-
ler j 8c qu’il avoit fait trop d’im-
preifion fur mon efprit pour ne’ le
pas reconnoitre. Comme il fem-
bla n’être pas trop fatisfait de cette
reponfe, j’ajoutai que j’avois eu,
outre cela., l’honneur de le voir for-
tir de la cour, comme ilalloitchez
Mr. Brants ; doiit. il parut plus
content. Il me demanda de quelle
ville j’étois 5 quels étoient mes pa-
rens ; : s’ils vivoient encore, & fi
j’avois des freres & des foeurs. Aiant
repondu à tout cela, il me fit plu-
fîeurs queftions fur mon premier
voyage, & me demanda en quelle
année je l’avois entrepris, combien
j ’y avois employé de tems ; de quelle
maniéré je l’avois fait, 8c comment
j’en étois revenu. Ce Prince
me parla enfuite de VEgypte, du
N il & du Grand-Caire■, de fon étendue
& de fes bâtimens . Il me demanda
en quel état fe trouvoient
les quartiers détachez de l’ancien
Caire; Alexandrie 8c plufieurs autres
lieux , ajoutant à cela qu’il
n’ignoroit pas qu’il y avoit un autre
endroit nommé Alexandrette.
H
i 702. Je repondis, qud cette derniere jftak
î. jow. e t fervoit déport iA lep, &luidis
à quelle diftaneé elle en .étoit. Le
Czar mie fit toutes ces. queftions en
Hollandois y & .voulut que je con-
tinuâiFe-.à parler de même, difant
qu’il m’entendoit très-bien. Gelai
parut, puisqu’il expliqua aux feigneurs
Rufiiens qui l’accompa-
gnoient tout ce que je lùi avois dit,
avec une exaftitude, dont le Refident
&: les autres Hollandois furent
furpris. *.II.-m’ordonna enfuite, de
parler Italien; au Knées,ou: Prince
de Troebetskooy, qui l’entendoit af-
fez bien , 8c puis i l me quita. A-
près avoip/refté trois bonnes :heù-
res chez Moniteur’ le Refident, il
fe; retira , pour faire: encore queb
ques autres vifites dans la Slabode,
parce que ê’étoit lé dernier jour,
la fête de lacconfecration de.Peau
devant fe Celebrer le lendemain dimanche,
& le lundi fuivant, 6 janvier,
.vieux ftilebiC^ jour-là ,-de
fils du ' General Bories Retrwvitz,
Czeremetof arriva, &. apporta à fa
Majefté. Czarienné-, qui étoit à.ftéi
glife,; P.agfeable nouvelle de’la de-
faite des Suédois en Livonie, parles
Mofcovit.es, à y..ou; 6 lieues, de la
Ville de'jQeripH. Il lui apprit que
les Suédois ¡¡.voient perdu 4000 hommes
-en ce-bombât, & ¡qu’on avoit
fait quelques centaines de prifon-
niers, entre lefquels il fe trouvoit
plufieurs ofljciers. . Çe. feigneur,.
qui avoit été :préfent à cette action,
& que fon père-avoit dépêché pour
en ..rapporter toutes les particularité?..
à fa. Majefté; y: le fit d’une maniéré
.qui donna une joie uniyerfel-
le. La- fête dont je viens de parler
. fe fait pour: la manifeftation de Jehconft
fpfChri/l-, 8c j ’én fus’ témoin ocucrationde
la ite ; ;
icau. ^ Oh avoit coupé du côté du'ehâ-;
teaü, dans la riviere de Joufa, un
trou quarréfur laglace ,-lequel avoit
treize pieds de large, d’un coin. à
Iautre, c’eft-à-dire en tout 52 pieds:
de tcirconference. Cette ouverture
étoit bordée d’un ouvragé de bois-
fort curieux., aiant à chaque coin
une colonne , que foutenoit une'
efpece de corniche, audeflfusdelàquelle
on .yôioit quatre panneaux 1702.
'peints en forme d’arcs -, aiant à châ- s. Janv!
que coin , la repréfentation d'un
des quatfe Eyangeliftes ;. & au def-
fus, deux efpeces de demi.dômes ,
fur le milieu defquels on avoit placé
une grande-croix, Ces panneaux
élevés , .qui étoient.peints, en de-,
dans , reprefentoient des Apôtres,,
& d'autres faintsperfonnages,. Le
plus beau. morceau de .cet,Ouvrage,
jà l’eft.de la riviere, étoit,le baptê»
me de notre Seigneur dans le Jourdain,
par S. Jean,, avec quatre An-
: ges. .debtout, . à droite. ;|Qhâcun de
ces panneaux avoit en dehors.cinq
têtes d’Anges.peintes, avec des;aif
les. Il y avoit quatre degrés’àîi’oüéft
de cette eau., au bout- defquels on
avoit,fixé un poids confi durable de
plomb y. pour les faire .de/cendre
dans -l'eau, Le Patriarche, ou celui
qui fit cette eeremonie., fe mit. fur
ces degrés jufques, à l’eau, qui y
avoit huit pieds de.profondeur. On
avoit étendu par terre de grands
tapis rouges, entourez d’une cloi-
fon quarrée, qui avoit 45 pas d'étendue
d’ùn coin à l ’autre , c’eft. à
dire, x8o de tour. Cette -.eloifon
en aypit .deux autres en guife de ba-
luftradeS j àla diftance de quatre pas
l’une de l’autre , hautes de' quatre
pieds. Si àuflî couvertes de tapis rouges.
On avoit. éleyé trois autels de
bois bien garnis à l’oueft, furie bord
de cette, eau, ôu de éette ouverture.
Quatre portes y conduifoient,
une de_châque côté, dont la principale
étoit àü fud de celui du château.
ElJ.eS' étoient auifi peintes,
mais aflez groflierement, 8c repre-
fentoient, comme les autres,, plufieurs
chofes facrées, .Après, avoir
bien examiné tout, cela , je me rendis
fur, une éminence proche du
château-, entré les deux portes, à
côté de celle qu’on nomme. Tdy-
memskie, ou la porte fecrete ; par
où devoit paiTer la proceflion. Elle
commença à s’avancer, fur les
onze heures, hors del’églifedeJa-:
boor, c’eft-à-dire , le lieu de l’af-
femblee des faints, qui eft dans le
château , & la principale de toutes
celles dé Mofcou. Cette proceflion
n’étoit