
On ne peut donc pas nier que certains individus ont des penchans aux
crimes, et même aux crimes les plus atroces. Helvétius meme, le grand
antagoniste de l’innéité des qualités de l’esprit et de l’ame, est obligé de
convenir « qu’il y a des hommes assez malheureusement nés pour ne
pouvoir être heureux que par des actions qui les mènent à la Grève *.»
Le cardinal de Polignac parle aussi « des hommes nés vicieux, pour qui
le crime a des délices, et qui sont emportés par une passion furieuse
qu’irritent les obstacles *. »
Jusqu’ici cependant les penchans dont nous avons parlé ne sont pas
encore du nombre de ceux qui caractérisent une véritable maladie. Les
penchans, selon leur énergie, peuvent contribuer seulement à graduer la
culpabilité, e t , dans tous les cas, les criminels de cette espèce ne peuvent
être tolérés dans la société. La plupart même, selon l’expression
de M. de Sonnenfels3, doivent être tués comme on tue des bêtes féroces,
pour qu’elles ne détruisent pas les hommes.
Quittons ce sujet pénible, et voyons les cas où l’on peut prononcer
avec certitude sur l’absence de la liberté morale, et par conséquent sur
l’impossibilité d’admettre la culpabilité, ni aucune espèce de responsabilité.
Tels sont ceux où les actions illégales doivent être considérées
comme étant faites dans l’imbécilité, dans l’aliénation mentale, dans
certains dérangemens de l’état naturel de santé. On nous dira peut-
être que les actes des imbéciles et des aliénés ne sont pas soumis aux
dispositions des lois criminelles. Mais nos recherches sur cet objet répandront
un grand jour sur la discussion précédente ; et, d’un autre coté,
il nous paroît essentiel de déterminer avec la plus grande précision où
un de ces trois cas que nous venons d’indiquer a réellement lieu. Nous
traiterons séparément de chacun de ces objets.
* De l’esprit, p. 574
* Anti-Lucrèce, trad. par M. de Bougainville. Paris, jy54,p. 164.
’ Grundsätze der Policey, etc. T. 1,
Application de nos principes aux actions illégales c/ui
sont la suite d une foiblesse particulière des facultés
intellectuelles.
Nous nous servons ici de l’expression de foiblesse particulière des
facultés intellectuelles , parce que nous ne traitons que des actions qui
sont la suite d’une imbécilité d’esprit plus ou moins grande; nous ne parlerons
pas des actes qui dérivent d’une stupidité complète et générale de
esprit, es actes, étant purement involontaires ou automatiques, n’ont
pas meme l’apparence de liberté morale, et ne peuvent nullement faire
J objet de nos recherches actuelles.
Parmi les eunes garçons que l’on nous amena dans une des prisons de
Berlin (StadtvogteyJ, il y en eut un qui fixa particulièrement notre attention.
Nous conseillâmes de ne pas le mettre en liberté, parce qu’il ne s’abstien-
drmt Pas de voler; nous ajoutâmes que ce qu’il y auroit de mieux à faire
seroit de le tenir pour toujours dans une maison de sûreté. Nous fîmes part
de nos motifsa ceux qui nous accompagnoient. Ils compulsèrent le registre
des écrous, et trouvèrent, à leur grande surprise, que ce jeune garçon
avoit, des sa plus tendre enfance, montré le penchant le plus opiniâtre
au vol. Nos adversaires profitèrent de cette occasion pour mettre dans
le plus grand jour ce qu’ils vouloient trouver d’effrayant et de dangereux
dans notre doctrine. Condamner, dirent-ils, à une détention perpétuelle
un jeune garçon , parce qu’il a commis un vol, qu’y auroit-il de
plus cruel et de plus contraire à l’humanité?
Quelles raisons eumes-nous de donner ce conseil? Nous avons déjà
fait voir que l’on doit considérer l’homme sous deux rapports : d’abord
comme ayant des qualités communes avec les animaux, c’est-à-dire
celles de l’ordre inférieur ; ensuite comme étant doué du caractère
de l’humanité, ou des qualités d’un ordre supérieur. Nous avons montré
aussi que l’homme, par le moyen de ses qualités supérieures, est en état
de dompter et de diriger ses penchans d’un ordre inférieur. Mais si les
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