ces êtres infortunés. Mais la mère sera-t-elle toujours en état de remettre
à cet établissement son enfant nouveau-né? Le contraire n’arrive-t-il
pas souvent? Ne faut-il pas un intermédiaire charitable qui porte l’enfant
dans ces maisons ? Or la mère a-t-elle toujours le courage de révéler son
état qu’elle voudroit cacher à tout le monde ? Lés hospices pour les enfans
trouvés produisent sans doute un grand bien; et la preuve en est que,
dans les endroits où aucun hospice semblable n’est établi, les prisons
renferment un plus grand nombre de mères coupables d’infanticide. Mais
les hospices mêmes ne préviennent pas tous les accidens. On est dans l’erreur,
si l’on croit avoir tout fait en rassurant les mères sur l’impossibilité où
elles seroient de nourrir leurs enfans ; ce n’est pas la misère qui contribue
le plus à les égarer. Très-souvent c’est la honte qui produit l’infanticide.
Or le motif de la honte n’est pas détruit par l’institution d’hôpitaux d’enfans
trouvés.
On a raison de supposer en thèse générale qu’une mère qui vient
d’accoucher ne peut concevoir ni colère, ni haine contre son enfant. Cela
même arriveroit toujours, si une mère n’agissoit que d’une manière conséquente;
si, surtout, elle conservoit le pouvoir d’agir ainsi lorsqu’elle est
accablée d’une mortelle humiliation. Mais, dans ce moment funeste, la
mère ne songe qu’à l’ingratitude, à l’infidélité, à la perfidie du père de
l’enfant; il l’a trompée de la manière la plus infâme; il l’a couverte d’ignominie,
et précipitée dans la misère; il a détruit tout son bonheur dans le
présent, toutes ses espérances pour l’avenir; et tandis que peut-être il
l’oublie dans les bras d’une autre , les lois n’accordent à cette malheureuse
mère aucune protection, aucun dédommagement contre son séducteur.
L ’idée que tous les artifices employés pour abuser de l’innocence confiante
, pour suborner une fille sans expérience, ne sont regardés que
comme des plaisanteries; cette idée se présente à toute infortunée qui se
trouve délaissée; cette iniquité l’aigrit, la tourmente, la révolte. Son
indignation déchire son coeur, trouble son esprit, et peut le porter jusqu’à
l’égarement.
L ’infanticide réveille l’idée d’une barbarie atroce, parce qu’on suppose
que le sentiment naturel de la maternité devroit se soulever à sa
seule pensée. La nature , il est vrai, a placé dans la plupart des femmes et
dans la plupart des femelles des animaux ce penchant bienfaisant. Mais
dans la femme comme dans les femelles des brutes, ce penchant n’est pas
d une égale énergie dans tous* les individus. Beaucoup d’animaux domestiques
abandonnent, tuent ou dévorent leurs petits ; beaucoup de vaches
ne veulent pas se laisser téter par leurs veaux; d’autres vaches, au contraire
, si on les en sépare, ne cessent de les appeler en beuglant, et refusent
de manger durant plusieurs jours. Malheureusement les mêmes
différences dans 1 amour maternel se font aussi remarquer parmi les
femmes. Toutes ne désirent pas de devenir mères; plusieurs craignent
d’avoir des enfans. Il en est même qui regardent leur grossesse comme
le comble du malheur. On observe journellement, parmi les filles domestiques,
que les unes aiment beaucoup les enfans, tandis que d’autres
ne peuvent les souffrir. Nos lecteurs connoissent sans doute des
femmes qui cherchent et trouvent mille prétextes pour n’avoir jamais
auprès d elles leurs enfans. Que l’on observe encore avec attention l’effet
que produit la mort d’un enfant sur différentes mères. Plusieurs, quoique
délivrées par la perte d’un enfant illégitime, de la honte, de la misère et
de mille inconvéniens, versent encore des larmes long-temps après à ce
souvenir. D’autres mères, au contraire, qui ne sont exposées à aucun de
ces désagrémens, voient ensevelir leur enfant légitime avec un sourire
sur les lèvres. S’il y a donc des femmes dans lesquelles le sentiment
d amour maternel n’est que très-foi ble, on ne peut pas dire, à leur égard,
que l’infanticide soit un attentat plus contre la nature et plus criminel
que tout autre meurtre prémédité.
Nous avons examiné la forme de la tête de vingt-neuf femmes infanticides.
Vingt-cinq n’avoient l’organe de l’amour maternel que très-
foiblement développé. Ce n’est pas, il est vrai, cette organisation marâtre
qui porte une mère à détruire son fruit; mais la mère qui est ainsi organisée,
a un motif intérieur de moins qu’une autre pour ne pas commettre
ce crime; et ayant à combattre l’impulsion des circonstances malheureuses
où elle se trouve, elle n’opposera pas autant de résistance qu’elle auroit
fait, si ses sentimens intérieurs s’étoient soulevés avec vivacité contre
l’idée d’une telle barbarie.