
de son père , qui l’engageoit à nous consulter sur son état. Elle dé-
clara qu’elle n’y avoit consenti que par obéissance filiale, et nous dit,
d’un air riant et assuré , qu’il étoit inutile de nous donner tant de
peine pour la questionner soigneusement ; que sa maladie n étoit pas
naturelle, puisque tant de médecins célèbres qui lui avoient promis de
la soulager n’avoient pu y réussir. Comme elle répondoit très-pertinemment
à tout ce qu’on lui disoit, nous essayâmes, par toutes sortes de
raisons, de la faire changer d’opinion. Mais elle persista dans sa manière
de répondre, et avec autant de suite quelle l’auroit fait, si son état n avoit
pas été imaginaire. Elle n’altendoit absolument rien du secours des hommes,
et avoit uniquement recours à la prière.
Dans ces aliénations raisonnantes, il est également possible que des
penchans nuisibles acquièrent une énergie très-prononcée. Les aliénés
de cette espèce répondent aux questions avec précision et justesse; on
n’observe aucun désordre dans leurs idées; ils s’occupent à lire, à écrire,
et font la conversation comme si leurs facultés morales et intellectuelles
étoient parfaitement saines. Ils déchirent cependant, dans le même
moment, leurs vétemens et leurs couvertures, et ils ont des idées et des
désirs fixes. Quoique de tels aliénés agissent d’une manière aussi conséquente
que s’ils avoient l’esprit sain, et que sous tous les autres rapports
ils soient raisonnables, ils n’en sont pas moins aliénés relativement à
l’action illégale. Différens exemples mettront cette proposition hors de
doute.
A Berlin , M. Mayer , chirurgien d’un régiment, nous montra, en présence
de MM. Heim , Formey, Hufeland, Goergé, et autres, un soldat à
qui le chagrin d’avoir perdu sa femme qu’il aimoit tendrement, avoit
beaucoup affoibli le corps et occasionné une irritabilité excessive. Il finit
par avoir tous les mois un accès de convulsions violentes. Il s’apercevoit
de leur approche; et comme il ressentoit par degrés un penchant immodéré
à tuer, à mesure que l’accès étoit près d’éclater, il supplioit alors
avec instance qu’on le chargeât de chaînes. Au bout de quelques jours,
l’accès et le penchant fatal diminuoient, et lui-même fixoit l’époque a
laquelle on pourroit, sans danger, le remettre en liberté. A Haina nous
vîmes un homme qui, dans certaines périodes, éprouvoit un désir irrésistible
de maltraiter les autres. Il connoissoit son malheureux penchant,
et se faisoit tenir enchaîné jusqu’à ce qu’il s’aperçût qu’on pouvoit le
laisser libre. Un homme mélancolique assista au supplice d’un criminel.
Ce spectacle lui causa un ébranlement si violent, qu’il fut saisi tout à coup
du désir le plus véhément de tuer, et en même temps d’une appréhension
affreuse de commettre un tel crime. Il dépeignoit son déplorable état
en pleurant amèrement et avec une confusion extrême. Il se frappoit la
tête, se tordoit les mains , se faisoit à lui-même des remontrances, et crioit
à ses amis de se sauver. Il les remercioit de la résistance qu’ils lui oppo-
soient. M. Pinel a aussi observé que, dans les aliénés furieux, il n’y a souvent
aucun dérangement des facultés intellectuelles. C’est pourquoi il se déclare
également contre la définition que Locke a donnée de l’aliénation mentale.
Il parle d’un individu dont la manie étoit périodique, et dont lès
accès se renouveloient régulièrement après des intervalles de calme de
plusieurs mois. Leur invasion s’annonçoit, dit-il, par le sentiment d’une
chaleur brûlante dans l’intérieur de l’abdomen, puis dans la poitrine, et
enfin à la face; alors rougeur des joues, regard étincelant, forte distension
des veines et des artères de la tête; enfin fureur forcenée qui le por-
toit, avec un penchant irrésistible, à saisir un instrument ou une arme
offensive pour assommer le premier qui s’offroit à sa vue, sorte de combat
intérieur qu’il disoit sans cesse éprouver entre l’impulsion féroce d’un
instinct dèstructeur et l’horreur profonde que lui inspiroit l’idée d’un
forfait. Nulle marque d’égarement dans la mémoire, l’imagination ou le
jugement. Il me faisoit l’aveu, durant son étroite réclusion , que son penchant
pour commettre un meurtre étoit absolument forcé et involontaire;
que sa femme, malgré sa tendresse pour elle, avoit été sur le point d’en
être la victime, et qu’il n’avoit eu que le temps de l’avertir de prendre
la fuite. Tous ses intervalles lucides ramenoient les mêmes réflexions
mélancoliques, la même expression de ses remords, et il avoit conçu un
tel dégoût de la vie, qu’il avoit plusieurs fois cherché, par un dernier
attentat, à en terminer le cours. Quelle raison, disoit-il, aurois-je d’égorger
le surveillant de l’hospice qui nous traite avec tant d’humanité? Cepen