
Presque toutes les lois contre l’infanticide supposent que ce crime est
prémédité toutes les fois qu’il n’est pas commis dans un accès de colère
et de haine ; mais est-il vrai qu’il n’y a que ces deux affections qui soient
capables d’exclure la préméditation ? Qu’on en juge pa,r quelques-unes des
actions de notre sexe. Combien de fois un sentiment d’honneur, même
déplacé, ne nous, fait-il pas hasarder notre vie et celle de nos semblables !
Combien de jeunes gens spirituels et pleins de force ne se sont pas ôté
la vie, parce qu’ils avoient perdu l’objet de leur amour ! Combien de fois
l’ambition déçue dans nos espérances, ou la perte de notre fortune, ne nous
jettent-elles pas dans le désespoir! Et nous sommes cependant par excellence
la partie forte de l’espèce humaine; nous ne sommes jamais dénués
de tout soutien; nos malheurs ne sont jamais incompatibles avec la possibilité
d’un meilleur avenir, el plus rarement encore ils nous ôtent l’espoir
de nous associer une compagne, une consolatrice. Combien est différente
la position d’une malheureuse femme altérée par l’affliction ! A des facultés
intellectuelles plus foibles, les femmes unissent ordinairement un plus
haut degré de sensibilité ; les affections vives et les passions les surprennent
plus aisément, et les entraînent avec plus de violence. Combien n’en
voit-on pas qui,même dans les plus beaux jours de leur vie, perdent la
raison pour des événemens insignifians ! On exerce chez elles dès l’enfance,
on exalte et on rend plus vif le sentiment de l’honneur et de la
honte : et nous demandons à ces créatures sensibles à l’excès, timorées,
jeunes et inexpérimentées, d’être froides, calmes et réfléchies, quand tout
ce qu’il y a de plus affreux et de plus décourageant vient les accabler!
Les incommodités de la grossesse , le jeu terrible et effrayant de toutes les
passions qui les tourmentent pendant sa durée, augmentent l’irritabilité de
leur ame et égarent leurs facultés intellectuelles. Le moment décisif arrive;
abandonnée, sans consolation, déchirée par la douleur , affoiblie par la
perte de son sang et étourdie par la confusion des idées les plus effrayantes
, la malheureuse mère anéantit de ses mains tremblantes la frêle existence
de son enfant; peut-être même n’agit-elle que dans un aceès de
démence réelle dont les mères les plus heureuses sont quelquefois attaquées
au moment de leur délivrance. Comment nous autres hommes
pouvons-nous ne pas apprécier une position si déplorable, et en l’appréciant,
comment pouvons-nous ne pas établir des gradations atténuantes
dans un crime qui peut être ou aggravé, ou excusé par tant de circonstances!
Nous croyons qu’il y auroit des inconvéniens d’exiger une satisfaction
du séducteur. Si nous craignons d’être injustes envers un perfide, ne
craignons pas du moins d’être indulgens, d’être humains pour l’innocence
foible, fragile et trompée ! L ’infortunée dont l’excès du malheur et du
désespoir a troublé l’esprit et rompu le coeur, peut exciter une juste
pitié. Elle ne mérite donc pas toujours qu’on la punisse avec la rigueur
que les lois réservent aux crimes mûrement réfléchis.
Pour donner une idée du concours fatal de circonstances désastreuses
qui peuvent porter une mère, quoique douée des bonnes qualités de son
sexe , à tuer son enfant, nous citerons le fait suivant, inséré dans le
Journal du beau monde *, au sujet de notre visite dans la prison de
Torgau.
« Parmi une quantité de criminels détenus dans la prison de Torgau,
que l’on amena à M. le docteur Gall, on lui présenta une femme^ âgée de
trente a quarante ans. Sourde aux prières de son enfant, âgé de quatre
ans, elle l’avoit noyé dans une rivière.
« M. le docteur Gall examina sa tête ; il prit la main de M. Loder
conseiller intime à Halle, qui se trou voit là, et la promena sur les côtés et
sur l’occiput de la tête de la femme, pour le mettre à même de faire quelques
remarques. La prisonnière s’étant retirée, il expliqua à une foule
de personnes qui l’accompagnoient, qu’il avoit découvert une chose très-
peu ordinaire en pareil cas, c est que la prisonnière avoit l’organe de
1 amour maternel très-développé, que l’organe du meurtre l’étoit fort
peu, que d ailleurs elle étoit très-bien organisée, et que surtout elle devoit
avoir une grande facilité d’apprendre par coeur. Les magistrats présens
racontèrent alors ce qui suit au docteur Gall ;
| * Cette personne, née de pareils pauvres qu’elle perdit de bonne heure,
n’avoit reçu presqu’aucune éducation; devenue grande, elle s’étoit mise’
' Le 1". août 18o5 , N°. 92. Ce journal paroit à Leipsîc.