
qu’il a de misérable, et qu’elle lui présente les motifs les plus nobles.
Plus les motifs par lesquels on soutient l’homme, en l’éclairant sur
son bien véritable, sont nombreux, forts et nobles, et plus on déterminera
avec certitude le bon choix de ses actions. On lui facilitera
d’autant plus le moyen de résister aux tentations basses, qu’on les aura
réprimées de meilleure heure ; que, par une éducation commencée dès
la tendre enfance, l’idée des suites funestes qu’entraînent les mauvaises
actions , sera chez lui plus habituelle et plus vive , et que, par un fréquent
exercice des propriétés de l’ordre le plus élevé, ces mêmes propriétés
auront acquis plus de facilité et d’énergie.
C’est pourquoi nous trouvons dans l’histoire de tous les temps les
preuves les plus frappantes des maux causés par l’ignorance et par le
manque d’éducation. On n’a besoin, pour s’en convaincre, que de comparer
les temps civilisés avec les temps barbares. Que l’on compare la
liste des horreurs qui se commettent chez les peuples sauvages, leurs
moeurs innocentes si vantées feront reculer d’effroi. Chacun sait que ces
horreurs ont diminué à mesure que les lumières et la religion chrétienne
ont été plus généralement répandues.
Dans les prisons, dont nous avons visité un si grand nombre durant le
cours de nos voyages, nous nous sommes assurés que la plupart des criminels
étoient nés dans des provinces et dans des conditions où l’instruction
et l’éducation sont le plus négligées. De même les bandes de brigands
féroces qui, il y a quelques années, répandirent la terreur dans la Hollande
et sur les deux rives du Rhin, se composoient de juifs vagabonds et
d’autres individus qui, tel que Schinderhannes, n’avoient reçu, dès leur
enfance, qu’une éducation nulle ou très-mauvaise.
Les institutions les plus parfaites ne pourront, il est vrai, faire dispa-
roître toutes les énormités et tous les crimes. On peut néanmoins attendre
de la bonne éducation des peuples une grande diminution du mal moral.
Quand on réfléchit combien souvent il arrive à la classe inférieure d’être
élevée avec peu de soin, ou de n’être imbue que de préjugés et de superstition
, on s’étonne*qu’il ne se commette pas plus de mal, et l’on est forcé
de reconnoitre la bonté naturelle de l’espèce humaine. Mille circonstances
malheureuses se réunissent pour tendre à l’homme né dans la classe inférieure
Au peuple les pièges les plus dangereux : plongé dans une ignorance
profonde, privé de tout ce qui auroit pu former les qualités de son esprit
et de son ame, il n’a que des notions très-inexactes de la morale et de la
religion ; les obligations sociales et les lois lui sont même généralement
inconnues ; uniquement occupé à gagner son pain, des amusemens grossiers
et bruyans, le jeu et l’ivresse le livrent en proie aux passions basses
et violentes; de toutes-parts il est entouré d’amorces, de mensonges, de
préjugés et de superstition ; on n’a cessé de lui parler de prétendus sorciers,
de conjurateurs de démons, de chercheurs de trésors, de devins,
d’interprètes de songes, de tireurs de cartes; on met sous ses yeux des
loteries et toute sorte de jeux de hasard qui enlèvent la dernière bouchée
de pain à des milliers d’enfans affamés : fléaux dont un ami de l’humanité
ne peut, sans frémir et sans être ému de compassion, entrevoir l’éternelle
durée ! Que de misères domestiques, que de larcins, que de vols intérieurs
ne découlent pas de ces sources funestes?
Un simple préjugé cause assez fréquemment les actions les plus horribles.
L ’année dernière, un homme tua le voisin de son oncle défunt,
parce qu’il vouloit venger la maladie et la mort de cet oncle, effets,
disoit-il, des machinations de ce voisin, qu’il regardoit comme un sorcier
. Une mère, il n’y a pas long-temps, tua et fit rôtir son enfant. La
graisse de cette innocente créature devoit lui servir à guérir les douleurs
rhumatismales de son mari. Une bande de voleurs croyoit expier les
assassinats les plus affreux en marmottant quelque pater noster pour
ses victimes. Iltis Jacob regarda le meurtre qu’il commit sur sa femme
comme entièrement effacé, aussitôt qu’il eût recommandé de dire quelques
messes pour elle et pour lui *.
Aussi, de tous temps, les souverains qui se sont occupés de donner de
bonnes moeurs aux hommes et d’en assurer le bonheur, ont favorisé l’instruction
publique, l’enseignement de la morale et de la religion, les arts
et les sciences. Jésus-Christ a recommandé de répandre la lumière, et
1 Histoire de Schinderhannes.