
d’irritation dans leurs qualités malfaisantes. M. Pinel1 a plusieurs fois
observé que des hommes qui étoient tres-sobres dans les intervalles de
calme d’une manie périodique, se livroient avec un penchant irrésistible
à l’ivrognerie au retour de leurs accès; que d’autres, dans les mêmes circonstances,
ne pouvoient s’empêcher de voler et de faire des tours de
filouteries, tandis que, dans leurs mornens lucides, on les citoit comme
des modèles de probité ; que des caractères doux et bienveillans se chan-
geoient, par les suites de l’aliénation, en esprits turbulens, querelleurs,
et quelquefois entièrement insociables. Il parle ' d’un homme atteint
d’une manie périodique très-invétérée. Ses accès durent ordinairement
huit à dix jours dans chaque mois, et offrent le contraste le plus frappant
entre cet état et l’état naturel de cet individu. Durant ses intervalles lucides
, sa physionomie est calme, son air doux et réservé, ses réponses sont
timides et pleines de justesse; il montre de l’urbanité dans ses manières,
une probité sévère, le désir même d’obliger les autres, et fait des voeux
ardens pour guérir de sa maladie ; mais au retour de l’accès, qui est marqué
surtout par une certaine rougeur de la face, par une chaleur vive dans la
tête et par une soif ardente, sa marche est précipitée, le ton de sa voix
est mâle et arrogant, son regard est plein d’audace , et il éprouve le
penchant le plus violent à provoquer ceux qui l’approchent, à les exciter
et à se battre contre eux à outrance. Un autre insensé, dit M. Pinel, d’un
naturel pacifique et doux , sembloit, pendant ses accès, être inspiré par
le démon de la malice. Son activité malfaisante n’avoit aucun repos ; il
enfermoit ses compagnons dans les loges, les provoquoit, les frappoit, et
suscitoit à tous propos des sujets de querelle.
2°. Aliénations partielles. Rien n’est plus commun dans les hôpitaux
des fous que de voir des individus aliénés relativement à une seule idée ou à
un seul penchant, et sensés sous tous les autres rapports. Un de ces aliénés
en imposa tellement à un ministre qui visitoit l’hôpital de Bicètre, et sut
si bien lui persuader qu’il étoit la victime de la cupidité et de la cruauté
1 L. C., p. 120.
a L. c. p. 101.
de ses parens, que le ministre se proposa de faire examiner ses plaintes
et de mettre cet infortuné en liberté. Mais à l’instant où il disoit adieu à
l’aliéné, en lui promettant de revenir bientôt lui apprendre de bonnes nouvelles
: Votre excellence , répondit celui-ci, sera toujours la bienvenue,
pourvu que ce ne soit pas un samedi, parce que, ce jour là, la Sainte-
Vierge me rend visite. Un commissaire vint à Bicètre pour rendre la
liberté aux aliénés qu’on pouvoit croire guéris. Il interroge un ancien
vigneron, qui ne laisse échapper dans ses réponses aucun propos incor
hérent. On dresse le procès-verbal de son état, et, suivant la coutume,
on le lui donne à signer. Quelle est là surprise du magistrat, de voir que
celui-ci se donne le titre de Christ, et se livre à toutes les rêveries que
cette idée lui suggère '. Un orfèvre s’imaginoit qu’on lui avoit changé la
tête. Il croyoit aussi avoir trouvé le mouvement perpétuel. On lui donna
des outils, et il se mit à travailler avec la plus grande opiniâtreté. Il ne
trouva pas le mouvement perpétuel, mais il fit les machines les plus ingénieuses
qui supposent de profondes réflexions et les combinaisons les plus
justes. On voit 'fréquemment des individus sensés sous tous les autres
rapports, se croire, l’un, général, l’autre, ministre ou monarque, un
autre enfin , Dieu lui-même. Tous les ouvrages sur les aliénations mentales
rapportent un grand nombre de ces exemples. Il nous suffit donc
de rappeler à nos lecteurs qu’il y a des aliénations partielles par rapport
aux penchans malfaisans qui conduisent à des actions illégales, comme
il y en a par rapport aux autres facultés. On en trouve la preuve dans
plusieurs des exemples que nous venons de citer, et dans d’autres que
nous rapporterons plus tard.
3°. L’on appelle aliénations raisonnantes celles où les individus
malades d’esprit sont réellement raisonnables dans tout ce qui ne tient
point à leur maladie, et où, sous le rapport même de leur aliénation,
ils agissent de la manière la plus conséquente et avec connoissance.
Une personne dont les facultés intellectuelles étoient en général saiues,
se croyoit possédée du démon ; elle céda cependant aux sollicitations
‘ Pinel, sur l’aliénation mentale, 2”. édit. p. 164.