
gagés de tout mélange étranger. Il ne faut donc plus s’étonner si quelquefois,
comme Auguste Lafontaine, on fait, pendant son sommeil,
des vers admirables, ou, comme Alexandre, le plan d’une bataille; si
l ’on résout des problèmes difficiles, comme Condillac; si l ’on trouve
tout fait le matin un travail que l ’onavoitprojeté ense couchant,comme
Franklin; si l’on découvre pendant son sommeil les véritables rapports
de choses qui, au milieu du tumulte des sentimens et des idées, met-
toient notre sagacité en défaut.
• C’est une erreur de croire que nos rêves ne sont jamais que la répétition
de sentimens et d’idées que nous avons déjà eus. L’homme peut
être inventeur pendant son sommeil, tout comme il l’est pendant la
veille ; car les sources internes de nos sentimens et de nos idées sont les
mêmes pendant le sommeil que pendant la veille.
Du somnambulisme.
Le somnambulisme se distingue du rêve seulement en ce que dans
le rêve il n’y a que sentimens et qu’idées intérieures, tandis que dans
le somnambulisme, un ou plusieurs sens deviennent encore susceptibles
de recevoir des impressions du dehors, et qu’un ou plusieurs ins-
trumens des mouvemens volontaires sont encore mis en activité. Le
somnambulisme a plusieurs degrés; en les examinant, à commencer
par le degré le plus foible, on concevra les phénomènes les plus éton-
nans qu’il présente.
Lorsque, malgré tous nos efforts pour nous tenir éveillés, nous ne
pouvons plus surmonter tout-à-fait le sommeil qui nous accable, nous
nous endormons partiellement, c’est-à-dire que, tout en dormant sous
certains rapports, nous restons encore éveillés sous d’autres. Nous sommeillons,
mais nous entendons encore ce qui se passe autour de notis;
c est ainsi que l’on s’assoupit à cheval, et même en marchant; de temps
en temps nous nous réveillons complètement et en sursaut.
D habitude, le matin , nous ne nous réveillons pas complètement
tout dun coup; nous sommeillons encore, mais nous entendons sonner
1 horloge et les cloches, nous entendons le chant du coq et le roulement
des voitures; preuve que certains organes isolés peuvent être en
activité, non-seulement en tant qu’il existe des sentimens et des idées
dans l ’intérieur, mais aussi en tant que ces organes mêmes sont susceptibles
d impressions du dehors.
Un rêve très-animé met en action plusieurs parties servant aux mouvemens
volontaires. On fait des efforts pour se sauver d’un danger, etc. ;
l ’on pousse des cris, l’on parle, l’on rit; les animaux mêmes font des
mouvemens analogues à leurs rêves, le chien aboyé et agite ses pieds, etc.
Dans ces cas, l’activité ( ou la veille) , s’étend jusqu’auxinstrumens de la
voix, et jusqu aux extrémités. Quelquefois, la personne endormie en-
tend pendant son reve,de façon que Ion peut faire la conversation avec
elle: dans ces cas-là, l’instrument interne et externe de l’ouïe est dans
1 état de veille. Nouvelle preuve de la vérité de ce que j’avance, que
certains organes isolés, et même quelques sens isolés, peuvent être en
activité, tandis que les autres sont encore ensevelis dans le sommeil le
plus profond.
Personne ne doute que l ’on ne puisse entendre pendant un rêve.Mais
peut-on voir? Des exemples décideront cette question.
A Berlin, un jeune homme de seize ans avoit, de temps en temps, des
accès fort extraordinaires. Sans connoissance il s’agitoit dans son lit ,
ses mouvemens et ses gestes annonçoient une grande activité de plusieurs
de ses organes internes; quoique l’on pût lui faire, il ne s’apercevoit de
lien ; à la fin, il se levoit de son lit , en sursaut, et se promenoit dans la
salle à pas précipités : alors ses yeux étoient ouverts et fixes. Je lui opposai
différens obstacles, il les écartoit avec la main, ou bien les évitoit
soigneusement; puis il se jetoit de nouveau brusquement sur son lit,
s y agitoit encore pendant quelques temps, et finissoit par se réveiller
en sursaut, très-étonné du nombre de curieux qui l ’environnoient.
M. Joseph de Pioggenbach, à Fribourg en Brisgau,me raconta, en
présence de plusieurs témoins, qu’il avoit été somnambule dans son
enfance. Dans son état de somnambulisme, son gouverneur le faisoit
souvent lire; on lui faisoit chercher des endroits sur la carte, et il les
trouvoit plus facilement que dans l’état de veille ; ses yeux étoient