
Les symptômes qui, selon ses observations , présagent l’explosion de
la manie, ont manifestement plus de rapport avec le cerveau qu’avec
l’abdomen. Les agitations , les inquiétudes vagues , un état constant
d’insomnie, le désordre et le trouble des idées, l’admiration rêjléchie
et le recueillement, les excès d’une humeur joviale, la tristesse concentrée,
une loquacité exubérante, les visions extatiques pendant la
nuit, les rêves enchanteurs, et Vapparition de l’objet aimé, une raison
entièrement bouleversée, sont certainement des symptômes qu’il faut
déduire d’un dérangement du cerveau.
M. Pinel pose en principe que la manie porte un caractère purement
nerveux , et pense par-là en exclure le siège du cerveau ; mais en
raisonnant ainsi, il ne fait pas réflexion que le cerveau est lui-même le
plus grand et le plus riche de tous les systèmes nerveux; il oublie la
différence qui existe entre un dérangement des fonctions vitales, et un
dérangement organique; différence dont j’ai déjà parlé, et que M. Bayle
a admirablement bien exposée '. Ce sont les fonctions vitales du cerveau
qui souffrent le plus dans la manie, et cela est prouvé par les symptôme
qu’allègue M. Pinel. L ’agitation continuelle, les cris furibonds, les
actes de violence, les veilles opiniâtres, le regard animé, l ’ardeur
pour les plaisirs de Vamour, la pétulance, les reparties vives, le sentiment
de supériorité dans leurs propres forces y un nouvel ordre
d’idées indépendantes des impressions des sens, etc., ne sont-ils pas
autant de preuves que l’instrument des qualités morales et des facultés
intellectuelles est dans un état d’excitation désordonnée ?
L ’on retrouve dans d’autres maladies les mêmes lésions organiques
que l’on rencontre souvent chez les aliénés; je l’accorde : mais suivant
les observations de M. Pinel lui-même, cela ne prouve absolument rien
en faveur de son assertion. Ce savant observe très-bien, « que les
causes les plus différentes peuvent produire dans certains cas les mêmes
’ Dictionnaire des sciences me’dicales , T. I I , p. 61. Anatomie pathologique.
variétés, et que la même cause peut donner lieu à des cas de manie
très-différens » ’. Ainsi donc, en général les mêmes causes doivent produire
chez différens individus des maladies absolument différentes et
elles doivent produire dans la même maladie des symptômes différens
chez différens individus. Le même aliment restaure l’un, et cause une
indigestion à un autre; la même indigestion cause à l’un des maux de
tête violens, à l’autre une apoplexie ; à un troisième, des convulsions,
des vomissemens , un dévoiement; à un quatrième, des rêves effrayans,
le cauchemare, le délire, etc. Il en est de même des impressions reçues
du dehors. La même affection, la même passion, il y a plus , le même
poison, qui cause à l’un des coliques violentes, une prostration totale
des forces, ou des défaillances, plonge l’autre dans la manie la plus
complète, et n’est pour le troisième qu’une irritation passagère. Nous
n’avons donc pas lieu de nous étonner, si quelquefois l’épilepsie, l’apoplexie
et la manie sont produites par la même cause : « point de folie
donc .* dit M. Fodéré, (ou il n’y en aura qu’une temporaire, ou
par vice organique) sans prédisposition » 1 , et le genre de cette folie
sera different selon la prédisposition. Je ne saurois me ranger du côté
de M. Pinel, lorsqu il affirme que la plupart du temps il n’a pu trouver
aucune trace visible de la maladie dans le cerveau des sujets affectés
d’une manie incurable. Les autopsies cadavériques de Morgagni, de
Greding, de Ghisi, de Bonnet, de Littré, ainsi que nos nombreuses
recherches, contredisent l’assertion de M. Pinel3. Si à l’avenir ce savant
fait attention à la diminution de la masse cérébrale, et aux change-
mens qu’a subis le crâne; modifications que j’indiquerai en traitant de
l’influence des maladies du cerveau sur le crâne ; il trouvera dans l’encéphale
les traces sensibles de la manie, du moins comme suites secondaires
des premiers dérangemens qu’avoient éprouvés les fonctions
vitales, bien plus souvent quil ne les a trouvées jusqu’à ce moment.
1 De l’aliénation mentale, p. 140 , Ç 146.
* Traité du délire, T. I I , p. 120.
3 C a b a n is , du moral et du physique de l’homme, (ae. édition), T. II ,//n
et45o. y