
Objection.
Bérard et de Montègre, eux qui page 3o6 ont parlé de la
pluralité des organes comme d’un fait constant, répètent les objections
de M. Rudolphi, de Winckelmann et Dumas, que je viens de rapporter,
et les appuyent de leurs propres observations.
« Si l’on irrite un point vivant avec le même stimulus, pendant un
certain temps, on observe que la douleur ou les frémissemens d’irritabilité
d’abord si vifs et si intenses, diminuent peu à peu, et deviennent
enfin nuis, de telle sorte, qu’en vain on augmente l’impression du
stimulus, il n’est plus possible de réveiller la partie. Cependant, qu’au
même instant le stimulus soit changé, et l’on obtiendra de ce même
point si insensible, si immobile, une vive réaction. Cette expérience
analogue aux faits dontil s’agit, démontre qu’on ne doit pas en chercher
la solution dans la différence des organes, mais dans une loi essentielle
de la sensibilité, dont on ne doit nullement chercherla cause, d’après
l’exemple de tous les bons esprits, dans la détermination des lois physiques
, mais qu’il faut établir expérimentalement et sur les faits. Or,
il n’y a pas de loi qui ait plus de faits pour elle : les sens externes y
sont soumis de la manière la plus marquée; les mêmes sons fatiguent
et endorment l’ouïe, que réveille leur variété; à cela tient une partie
de la théorie philosophique de l’art de la musique; à fixer long temps
un objet, l'oeil se fatigue; à sentir une même odeur, durant un certain
temps, l'odorat devient comme insensible; le goût s’épuise par l ’uniformité,
se réveille ou se soutient par la variété des mets. H médecin
est forcé de varier les médicamens qui doivent agir sur les mêmes
surfaces, pour exercer sur elles une action toujours soutenue. Il est
donc évident que les phénomènes dont il s’agit rentrent dans une loi
générale de la sensibilité; et' qu’y a-t-il qui appartienne plus à la sensibilité
que la pensée? Voilà donc la théorie expérimentale dé ces
faits ; la cranioscopie ne peut en tirer aucun avantage ».
Réponse.
MM. Bérard et de Montègre ne sont pas plus heureux dans le choix
des exemples, par lesquels ils s’efforcent de confirmer cette prétendue loi
generale de la sensibilité, que M. Rudolphi, Winckelmann et Dumas
ne le sont dans le choix des leurs. Les mêmes sons fatiguent et endorment
l’ouïe, disent-ils; mais ils savent comme moi, que toutes les fois
que l’attention de l’oreille est appelée sur d’autres sons, les muscles de
l ’intérieur de cet organe , et les autres parties de l’instrument auditif
exercent une action différente; ils savent comme moi, que tant que
l’oeil est fixé sur le même objet, les mêmes muscles du bulbe et les
mêmes parties de l’intérieur de l’oeil sont tendus. Si l’objet change, si
l’oeil prend une autre direction, d’autres muscles, etc. sont en action.
Et pourquoi l ’oeil ne finit-il pas par devenir insensible à la lumière?
Pourquoi avons-nous la sensation de la clarté tant qu'il fait jour, ou
que nous nous trouvons dans un endroit éclairé? Il est tout aussi peu
vrai que faisant toujours usage des mêmes alimens, nous finissons par
les trouver insipides: interrogez le sobre paysan. Qui de nous trouve
moins dégoût au pain et au vin, quoi que nous en fassions un usage
journalier?
Si les médecins font bien de changer quelquefois de médicamens, ils
prouvent, par cette conduite, qu’il existe des habitudes; mais ce n’est
point par une loi générale de la sensibilité, qu’il*faut les expliquer;
car les cas où une irritation produit des effets d’autant plus marqués ,
qu’on la fait agir plus souvent et plus long-temps, sont bien plus Dom;
breux. Des purgations énergiques continuées plusieurs jours de suite,
produisent des inflammations , des convulsions, etc. D’anciennes douleurs
provenant de coups de sabre, de contusions, de goutte, etc.,
deviennent d’autant plus insupportables, que la partie affectée a plus
souffert par la durée du mal. L’odeur et la saveur même de certains
alimens ne réveillent 1 activité des instrumens du goût et de l’odorat,
que lorsqu ils ont agi sur ces parties à plusieurs reprises. Les truffes et
les huîtres, que nous mangeons avec tant de plaisir, nous paroissoient
des mets insipides la première fois que nous en avons goûté. L’estomac
reste irritable pendant toute la vie pour les boissons, pour
les alimens, pour la bile; les muscles restent constamment irritables