
la science politique ; savoir que, dans ce monde, les uns sont nés pour
dominer, et les autres pour obéir.
On observe même que, malgré les contrariétés les plus décidées
et l’éducation la plus, opposée au caractère, la nature, lorsqu’elle est
douée d’énergie, l’emporte presque toujours dans le bien comme dans le
mal ; et c’est par-là que Tacite justifie les deux instituteurs dé Néron.
Ce prince étoit cruel dès son enfance, et à toutes les leçons d’humanité
que lui donnoient ses maîtres, il n’opposoit qu’un coeur d’airain. Les
plus grands hommes portent l’empreinte de leur siècle, et ne peuvent
pas se defendre entièrement de l’impression des objets qui les entourent.
Cependant 1 on voit constamment que celui qui est doué d’une faculté
dominante et énergique, poursuit sa marche particulière, et saisit avec
force 1 objet que la nature lui a indiqué. Thomas, en écrivant l’éloge de
Descartes, a donc très-bien fait de ne pas beaucoup s’arrêter a son éducation.
« Car, dit-il, lorsqu’il s’agit d’hommes extraordinaires, il faut
bien moins remarquer l’éducation, que la nature. Il y a une éducation
pour les hommes communs ; l’homme de génie a l’éducation qu’il se
donne, et qui consiste principalement à perdre et à effacer celle qu’il
a reçue «.
S i, dans certaines circonstances, un homme qui a certaines qualités
tres-prononcées suit pourtant une vocation différente, on remarqué au
moins que la faculté distincte qu’il a apportée en naissant, détermine
les jouissances et les occupations favorites de sa vie. C’estpour Cela que
des rois s adonnent à des occupations d’artistes et d’artisans, et que l’on
voit des paysans, des artisans et des bergers devenir astronomes, poètes
et philosophes. Le Czar Pierre I er s’adonnoit, par inclination , aux arts
mécaniques. Louis XVI faisoit des ouvrages de serrurerie. Le pasteur
Hahn fait des montres. Haller , au milieu de ses travaux anatomiques
et physiologiques, est encore devenu célèbre par la poésie. 11 n’y a
presque pas dhomme distingué qui, nonobstant ses occupations ordinaires,
ne soit plus ou moins entraîné, sans s’en apercevoir, vers l’objet
auquel la nature l’a plus particulièrement appelé. Tout concourt ainsi
à démentir l’influence exclusive de l’éducation.
Si, malgré toutes ces preuves, l’on vouloit soutenir que les génies
précoces, et les génies de tous les genres, sont le produit de l’éducation
et des.objets qui nous entourent, que.l’on nous dise pourquoi certains
enfans. qui ;. sous le rapport d’une de leurs facultés, annoncent un
génie extraordinaire, ne s’élèvent au-dessus de leurs camarades sous
aucun autre rapport; et pourquoi encore des hommes, qui excellent
dans un point, sont si médiocres eh toute autre chosePLe célèbre Betti,
qui, à l’âge de treize ans,passoit déjà pour un très-grand comédien, jouoit
avec d’autres enfans dans la rue, jusqu’au moment où il falloit qu’il
parût sur la scène. Guillaume Crotsh, célèbre, à l’âge de six ans, pour
son génie musical, n’étoit ^ dans tout le reste, qu’un enfant d’une inteL
ligence médiocre. Nous avons fait la même observation sur le garçon
de cinq ans qui annonçoit des facultés viriles complètes , etle penchant
le plus décidé pour les femmes; il n’avoit rien qui le distinguât des
enfans de son âge dans to.u tes ses autres inclinations. Le.même contraste
se fait remarquer dans les adultes. Leurs facultés les plus extraordinaires
ne prouvent rien en faveur des quàlités d’un genre différent.On n’auroit
jamais fait d’Horace un César, ni d’Alexandre un Homère. Helvétius
lui-même est forcé d’avouer que l’éducation n’auroit jamais changé
Newton en poète, ni Milton en astronome. Michel Ange non plus
n’auroit pu composer les tableaux de l’Albane, ni l ’Albane ceux de
Jules Romain. On ne peut expliquer ces divers phénomènes H qu’en
disant que certains organes se perfectionnent plutôt, et d’autres
plus ,tard; que ,, dans certains individus, quelques organes restent
pour toujours en arrière , tandis que d’autres organes acquièrent la
plus grande énergie. ; Mais cette explication montre de nouveau que
1 exercice des facultés morales et intellectuelles dépend de l’organisation.
; Que Ion consulte les personnes qui consacrent leur vie entière à
1 éducation de l’homme, tels que Campe ,'Niemeyer, Pestalozzi, Salz-
mann,. Gedike , May, Eschke, Pfingsten, l’abbé Sicàrd. Chaque jour
leur fournit l’occasion de remarquer que, dans chaque individu, les
dispositions diffèrent dès la naissance, et que l’éducation ne peut avoir
II. rt