
pourquoi la législation de tous les pays est si indulgente pour les cas de
démence. On ne regarde nulle part les fous comme responsables de leur
manière d’agir.
« Ma profession m’a mis à portée d’étudier le caractère des femmes
chez un grand nombre d’individus, dans tous les ordres de la société et
sous tous les rapports. Admis dans leur confiance intime, je leur ai donné
mes avis dans les momens les plus cruels d’angoisse physique ou morale.
J’ai vu comment elles se conduisoient à l’approche d’un péril imminent;
j’ai entendu leurs dernières et leurs plus sérieuses réflexions, lorsqu’elles
étoient sûres de n’avoir plus que peu d’heures à vivre.
« O r , d’après les résultats d’une longue expérience, je prends sur moi
d’avancer que les femmes qui se trouvent enceintes, et n’osent avouer leur
état, ont droit, pour l’ordinaire, à toute notre compassion, et sont en
général moins coupables qu’on ne le suppose. Presque toujours le crime,
la barbarie même sont du côté du père de l’enfant; la mère est foible,
crédule et abusée. Le séducteur ayant obtenu ce qu’il désiroit, ne songe
plus à ses promesses; l’infortunée se voit trahie, privée de l’amour , des
soins et de l’appui dont elle s’étoit flattée, condamnée désormais à lutt er,
comme elle pourra, contre la maladie, le chagrin, la pauvreté , la honte,
en un mot, contre un abandon qui menace sa vie entière. Une malhonnête
femme ne sera jamais réduite à cette situation déplorable, parce
quelle est insensible à l’opprobre; mais celle à qui un vif sentiment de la
honte inspire, avant tout, le désir d’être considérée, n’a souvent pas
assez de force d’esprit pour supporter les malheurs que je viens de décrire.
Dans son délire, elle termine des jours qui lui sont devenus insupportables;
et quel homme, tant soit peu compatissant, osera s’indigner contre
sa mémoire?
« Si elle n’eût pas écouté, se dit-elle en elle-même, les voeux et les protestations
perfides de notre sexe, elle auroit pu, dans l’heureux cours
d’une longue vie, offrir une épouse tendre et chaste, une mère vertueuse
et respectée. Cette réflexion, mettant le comble à son désespoir , la détermine
à se jeter dans les bras de l’éternité.
« On objectera que son crime est plus grave, en ce qu’elle donne la
mort à son enfant du coup dont elle se détruit. Gardons-nous de croire
que l’action de tuer soit toujours un meurtre ! Elle mérite ce nom uniquement
lorsqu elle est executee- volontairement et avec une intention coupable.
Mais lorsqu’on y est poussé par une frénésie qui prend sa source
dans le désespoir , peut-elle sembler plus condamnable aux yeux de Dieu
que si on la commetloit dans un accès de fièvre chaude, ou dans un état
de démence absolue? Elle doit au moins alors exciter autant de pitié que
d’horreur. Il suffiroit de connoître toutes les circonstances des faits qu’on
traite communément d’infanticides, pour trembler de comprendre ainsi
des évènemens très-divers sous une dénomination qui réclame, à juste
titre, la sévérité des lois.
« Sans doute un dessein prémédité peut porter à priver de la vie un
être foible et abandonné; c’est alors un crime contraire non-seulement
aux lois les plus universelles de l’humanité, mais encore à cet instinct vif
et puissant que, par des vues sages et salutaires, le créateur a mis dans lu
coeur de toutes les mères, et qui les porte à tout entreprendre pour la
conservation de leurs petits. La tournure la plus charitable qu’on pour-
roit donner à cette action barbare '( et Dieu veuille qu’elle soit le plus
souvent appuyée par la vraisemblance), seroit de la regarder comme la
suite d’une folie accidentelle.
« Mais autant que j’en puis juger, le plus grand nombre de ces prétendus
meurtres est bien éloigné de mériter ce nom. La mère ne peut
soutenir l’idée de sa honte, et brûle de conserver sa réputation. Elle étoit
vertueuse et estimée ; elle ne se sent pas assez de courage pour attendre
et avouer son infamie. A mesure qu’elle perd l’espérance ou de s’être
méprise par rapport à sa grossesse, ou d’être affranchie de ses terreurs
par un accident subit, elle voit tous les jours s’accroître et s’approcher le
danger; elle est de plus en plus troublée par l’épouvante et le désespoir.
Plusieurs se rendroient alors coupables de suicides, si elles ne savoient
qu’une pareille action entraîneroit infailliblement les recherches judiciaires
qui dévoileroient ce qu’elles ont si fort à coeur de tenir secret.
Dans cette perplexité où l’idée de mettre à mort leur enfant ne se présente
pas même à leur imagination, elles forment divers plans pour cacher sa