
peuvent lui être imputées : c’est ainsi que l’homme devient un être moral
La liberté morale n’est donc autre chose que la faculté d’être déterminé
et de se déterminer par des motifs \ C’est cette liberté qui a été le sujet
des leçons des anciens philosophes et des jurisconsultes. La morale et la
religion elles- mêmes ne supposent que cette espèce de liberté , puisque
leur unique objet est de nous fournir les motifs les plus puissans et les
plus nobles pour diriger nos actions.
On demande à présent jusqu’à quel point cette liberté peut se concilier
avec les dispositions innées et dépendantes d’organes matériels pour
leur exercice?
L ’homme, dit-on, ne peut, en aucune manière, changer ce qui est
inné. Il doit par conséquent agir comme les organes innés de ses facultés
morales et intellectuelles le lui permettent et le lui commandent.
Il est vrai que l’homme ne peut pas changer son organisation ; il n’a
pas non plus d’empire sur les impressions accidentelles du dehors. Ainsi
lorsque , par l’effet de son organisation intérieure et des irritations extérieures,
il s’éveille en lui des sensations, des sentimens, dés idées, des
penchans , des inclinations, on doit le considérer, quant à ces impressions
et quant aux désirs qui en résultent, comme esclave de son intérieur
et du monde extérieur. Chaque organe mis en activité lui donne
une sensation, un penchant, une suite de pensées, et, sous ce rapport,
il n’a d’empire qu’autant qu’il peut empêcher ou produire l’action des
organes. Il ne lui est pas possible de ne pas sentir la faim, quand son
estomac agit d’une certaine manière ; il lui est impossible de ne pas
éprouver un penchant vers le sexe,lorsque les organes de ce penchant sont
irrités; il ne peut donc être responsable de l’existence de ces sensations et
de ces désirs, qui sont ce que les anciens appeloient concupiscence, voûtions
ou velléités; mais il faut, à l’exemple des anciens, de Kant et d’autres,
distinguer soigneusement les désirs, les penchans, les volitions, les velléités,
d’avec la volonté. Condillac3 dit, à ce sujet, avec beaucoup de justesse:
' Loche, sur l'entendement humain, T. I I I , p. 354.
* Bonnet, Palingen. T. I, p. 27,
,3 OEuvres compl., T. III ? p. 56.
S Comme il ne dépend pas de nous de ne pas avoir les besoins qui sont
une suite de notre conformation, il ne dépend pas non plus de nous de
n’être pas portés à faire ce à quoi nous sommes déterminés par ces
besoins». M.Fichte1, au contraire, s’exprime d’une manière peu circonspecte
, quand il donne le nom de volonté au simple penchant, à la simple
tendance des facultés à l'action.
C’est pour avoir confondu les désirs, les velléités, les penchans, avec la
véritable volonté, qu’on a cru trouver des difficultés insolubles relativement
à la liberté morale. On avoit raison de nier la liberté relativement à l’existence
et au mouvement des désirs; et, par une fausse conséquence, on
a cru que la volonté et les actions manquoient également de liberté.
C’étoit confondre deux choses entièrement différentes.
On a encore confondu un sentiment intérieur de satisfaction avec la
liberté morale. En effet, même en n’agissant que d’après des penchans
et sans volonté, l’homme éprouve un sentiment de satisfaction qui se
joint à l’accomplissement de ses désirs, et cette satisfaction est d’autant
plus vive que ces désirs étoient plus pressans. C’est ce contentement qui
fait illusion à l’homme, et qui lui fait croire que, dans cette circonstance,
il agit avec une liberté morale. Ainsi il croit agir librement, quand il
marche droit, et ilnesongepasqueson organisation l’y contraint. L ’homme
agité par la jalousie et le désir de la vengeance , et celui que consume le feu
de l’amour, se regardent comme libres aussi long-temps que leur désir et
son accomplissement leur font éprouver de la satisfaction. L’orage est-il
apaisé, ils changent de langage; il reconnoissent alors que la passion les
a entraînés par sa violence. Nous sommes souvent éloignés de toute idée
d’appétit sensuel; mais à peine un objet provoque - t - il les organes,
qu’aussitôt nous éprouvons le désir d’avoir la chose que nous aurions
dédaignée un instant auparavant. Personne ne soutiendra que les animaux
jouissent d’une véritable liberté morale ; ils agissent pourtant
sans ressentir aucune contrainte. A l’instar de l’homme, ils éprouvent
le contentement qui suit l’accomplissement des désirs,et qui n’est qu’une
1 Wissenschaftslehre.