
rentrer tout-à-coup en lui-même. « Que je suis heureux, me dit-il,
d’avoir rencontré un homme capable de me préserver d’un crime
atroce » ! et il me rendit compte de sa triste situation avec le ton de la
confiance, mais en se tordant les mains d’angoisses.
Si par des faits semblables on est forcé d’admettre au moins deux
sources de la manie, il faut bien supposer aussi deux organes d’espèce
différente, et voilà encore cet organe.unique, cette loi unique de la
sensibilité, en défaut.
Mais ces deux divisions principales sont loin de suffire pour expliquer
d’une manière satfsfaisante les différens phénomènes qu’offre là
manie. Les différentes altérations que subissent les qualités morales et
les facultés intellectuelles, revêtent des formes tellement variées , que
les subdivisions des deux divisions principales seroiept aussi discre-
pentes entre elles que les deux divisions principales elles-mêmes.
Le guerrier, dans sa manie, commande aux élémens; il menace de
détruire la terre et les nlers d’un souffle de sa bouche; d’une main robuste,
il frappe ses Cuisses musculeuses, pour apprendre aux nations
que l’univers repose sur des colonnes inébranlables; de son bras puissant
il arrête les mondes dans leur cours, et son oeil de dessous ses
sourcils divins, plane au-dessus des étoiles. Le mélancolique, malgré
sa stature d’Hercule, tremble devant son ombre, ne voit partout que
désastres et que persécutions, et au sein de l’abondance il redoute la
faim pour lui et pour sa famille; il ne regarde cette terre que comme
une vallée de larmes, et ne médite jour et nuit que sa propre destruction
et celle des siens. Le voluptueux, lâchant la bride a une imagination,
déréglée, passe ses jours dans l’ivresse des jouissances sensuelles; il fait
des anges du ciel même, les odalisques d’un sérail voué à ses désirs, et
ne trouve le bonheur que dans un brutal abus de lui-même.
Qu’ont de commun entre elles ces trois séries de sentimens désordonnés
et de fausses idées? Qui pourra jamais réussir à les rapporter à
une seule et même classe?
La somme des faits rassemblés par M. Pinel devoit, en dépit de l’idéologie,
forcer cet ami de la vérité à convenir que les deux divisions
qu’il établit.ne sont pas suffisantes. « Les mots : entendement humain et
volonté, dit-il, ne sont-ils pas .des termes génériques et abstraits qui
comprennent sous eux différences opérations intellectuelles ou affectives,
dont les aberrations, isolées ou réunies, forment les diverses
espèces d’aliénation, et dont il importe de déterminer soigneusement
les vrais caractères1? » .
Mais pourquoi se révolte-t-il contre la doctrine de la pluralité des
organes? Cette doctrine n a , dans le fait, d autre but que de déterminer
les puissances fondamentales tant de lame que de l’esprit, et déposer
enfin des principes inébranlables sur les fonctions du cerveau, tant
dans l’état de santé que dans l’état de maladie.
Je demande enfin aux adversaires de la pluralité des organes des
fonctions de l’ame, comment un organe unique et homogène peut se
trouver en même temps dans les états les plus opposés? Je leur demande
si l’oeil, dans le même instant où il voit les objets doubles ou renversés,
peut les voir aussi simples et droits ? Et cependant, quelque chose
d absolument semblableauroit lieu dans tous les cas de manie, où, dans
le même instant, les qualités affectives sont troublées, et les facultés intellectuelles
intactes; quelque chose d’absolument semblable auroit
lieu dans tous les cas où il n’y a que dérangement de fonctions particulières,
ou dérangement de quelques-unes des fonctions appartenant
à lune des divisions principales; quelque chose de tout semblable
auroit lieu dans l’imbécillité partielle. Non , il est impossible que
l ’aversion pour la pluralité des organes aille au point de faire soutenir
la contradiction la plus manifeste; de faire affirmer qu’un organe est
dans le même instant sain et malade , dans son état normal et dans un
état d’anomalie.
1 Sur l’aliénation mentale, p. 55, §. 63.