
Mais la peine de mort sans aggravation'est-elle toujours suffisante pour
prévenir les crimes? La mort souvent n’est pas un mal. L’homme infortuné,
comme dit M. de Sonnenfels, la souhaite, parce qu’elle le délivrera de
tous ses maux ; l’homme, dans le désespoir, se la donne ; les martyrs de la
gloire et de la religion courent au-devant d’elle pour se faire un nom, ou
pour jouir de la vie a venir ; les lois supposent même que la perte de la vie
n’arréte pas les coupables, puisqu’elles recommandent de les empêcher de
s’ôter lavie dansles prisons. L ’expérienceapprendaussi combien la sentence
de mort les ébranle peu, et avec quelle résolution ils vont à l’échafaud. Pour
ces hommes dont la vie est une scène continuelle de forfaits et de jouissances
brutales, laprison perpétuelle seroit une peine plus douloureuse que la mort.
La honte et l’avenir ne sont rien pour de semblables scélérats; mourir n’est
rien, disent-ils, il faut bien finir par la. N’en résulte-t-il pas la conséquence
que la peine de mort doit être aggravée? L’homme considéré comme un
être raisonnable, est déterminé par les motifs les plus forts et les plus
nombreux; il faut donc opposer au criminel des motifs d’autant plus
puissans, que son inclination au mal est plus énergique, et que les suites
en sont plus nuisibles; et la mort ordinaire étant insuffisante, c’est par
l’attente d’une plus terrible qu’il faut chercher à l’effrayer.
On a adopté en principe la gradation des punitions; mais, dans quelques
gouvernemens, on a fait une exception pour la peine de mort. On
la regarde comme le dernier terme des droits de la justice sur les coupables.
Ainsi, par une contradiction singulière, on punit le même délit
avec dautant plus' de rigueur qu’il a été commis plus souvent, parce
que les rechutes dénotent une inclination plus forte au crime, et une plus
grande corruption dans le malfaiteur. On punit différemment le vol simple,
les vols qui se commettent de nuit avec effraction , à main armée,
avec attroupement; on sévit avec plus de sévérité contre le chef d’une*
émeute que contre ses complices; contre les faux-mOnnoyeurs qui altèrent
les espèces d’or et d’argent, que contre ceux qui ne contrefont que
les monnoies de cuivre. On inflige à une mère qui a exposé son enfant
des peines différentes, selon que l’enfant a couru plus de risque dépérir;
et, par toutes ces dispositions des lois, ou convient qu’on est obligé de
choisir les moyens les plus efficaces pour prévenir au moins un délit,
quand il faut renoncer à l’idée de corriger le malfaiteur actuel. Pourquoi
donc dans cette gradation, dont la nécessité est si reconnue, fait-on une
exception pour la peine capitale?
Pour donner à cette exception une apparence de philosophie et de
justice, on dit que l’énormité des délits pour lesquels la peine de.mort
est établie, permet à peine d’apercevoir, entre eux la plus petite différence,
et que l’on ne peut en conséquence introduire aucune modification
de la peine de mort.
S’il faut juger le délit d’après la perversité du malfaiteur et d’après les
inconvéniens qui en résultent ; s’il est même établi comme axiome qu’un
délit consiste dans le fait même et dans l’intention du malfaiteur, ces
principes contre lesquels il n’y a rien à objecter, ne peuvent s’accorder
avec 1 assertion que tous les crimes capitaux sont à-peu-près égaux, et
mentent par conséquent une peine égale. Peut-on soutenir qu’un homme
qui, par vengeance, tue de propos délibéré le destructeur du bonheur
de sa vie; que celui qui, exaspéré par la conduite infâme d’un perfide,
1 immole a son ressentiment; qu’une jeune fille sans expérience et en
proie au désespoir, qui anéantit son fruit, soient des criminels aussi
grands, aussi corrompus que le monstre crapuleux qui, malgré les supplications
de sa femme , étrangle le vieux père de cette infortunée pour
dévorer plutôt son héritage", que la prostituée qui assassine les compagnons
e ses débauches pour dérober le peu qu’ils possèdent ; que le brigand
dont la vie entière n’est qu’un tissu de vols et de meurtres? Peut-on dire
que le meurtrier qui détruit un seul homme, soit aussi dangereux que
les monstres qui, poussés par une cupidité infernale, empoisonnent plusieurs
individus, et même des familles entières ; qui n’ont pas horreur des
moyens les plus atroces, pourvu qu’ils atteignent leur but, et qui répandent
1 épouvante, la dévastation et la mort sur les grandes routes, dans les
forêts et dans les villages ? D’un côté, n’est-il pas déplorable, et de l’autre
n est-ce pas, en quelque sorte, un sujet d’orgueil pour les plus grands
criminels, que l’on efface toute espèce de différence entre ces divers délits?
Le scélérat féroce n’a-t-il pas alors raison d’entasser cruauté sur cruauté
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