
« On fit venir l’hôtesse de qui elle avoit loué la chambre. Cette femme,
qui s’étoit contentée d’une légère avance,sans prendre d’autres informations,
la reconnut dès qu’elle la vit, et confirma par serment cette partie
de son récit. M. Pinkston et moi déclarâmes qu’elle nous paroissoit digne
de foi, et en même temps nous prouvâmes aux jurés que la circonstance
des poumons qui avoient surnagé, ne prouvoit rien contre la jeune fille;
elle fut déclarée innocente, et j’eus la satisfaction de croire qu’elle l’étoit
réellement.
« En pareilles occasions, nous ne sommes que trop portés à nous
laisser prévenir ; et lorsque nous voyons une intention manifeste de cacher
la naissance de l’enfant, nous concluons qu’il y avoit aussi un projet
formel de le détruire ; nous pesons toutes les circonstances d’après cette
supposition hasardée. S’il n’en etoit pas ainsi, disons-nous, pourquoi la
mère a-t-elle agi de telle ou telle manière? pourquoi n’a-t-elle pas agi
de telle ou telle autre ? De semblables questions auroient une apparence
d’équité, et l’on en tireroit des conclusions solides, si l’accusée prenoit
alors conseil d’un esprit calme et dégagé ; mais dès qu’on réfléchit qu’elle
est violemment agitée par le conflit de passions et de craintes, plus sa
conduite est déraisonnable, plus on doit la juger naturelle »..
Dans le reste de la lettre, M. Hunter prouve qu’il est très-difficile de
juger avec certitude, d’après l’inspection du cadavre d’un enfant nouvellement
né, si sa mort a été naturelle ou violente. Il ajoute que l’on prend
souvent des accidens naturels, tels que l’enflure delà tête, la couleur noire
ou très-rouge du visage , les poumons qui surnagent dans l’eau , etc. pour
des indices de mort violente. Si un enfant respire une seule fois et meurt
aussitôt, les poumons resteront à fleur d’eau, comme s’il eût respiré plus
long-temps et qu’on l’eût ensuite étranglé. Un enfant respire ordinairement
aussitôt que sa bouche prend l’air. « Il suit de là, dit M. Hunter,
qu’il peut mourir avant que son corps ait paru, surtout lorsqu’il y a un
intervalle de temps considérable entre ce que nous pouvons appeler la
naissance de sa tête et celle du corps. Et si la chose arrive quand la mère
est environnée de secours de toute espèce, à plus forte raison peut-elle
avoir lieu lorsque celle-ci est réduite à accoucher d’elle-même.
« Nous voyons fréquemment, continue ce célèbre médecin,.des enfans
nouveaux-nés qui, soit par les vices de leur constitution, soit par la nature
de l’accouchement, n’ont qu’une vie précaire , et qui, après avoir respiré
quelques minutes ou quelques heures, cessent de vivre en dépit de tous
nos soins ; et pourquoi ce malheur n’arriveroit-il pas à une femme qui
accouche seule ? Quelquefois un enfant naît si foible, qu’il ne peut pas
tarder a mourir, s’il est abandonné à lui-même, et cependant on lui
auroit conservé la vie, si l’on avoit eu la précaution de souffler dans ses
poumons,de lui appliquer des linges chauds, de lui présenter de l’alcali
volatil, de le frotter, etc.; mais dans les circonstances dont il s’agit, de
qui attendre ces précautions ?
« Lorsqu’une femme accouche d’elle-même, un enfant bien constitué
peut naître plein de vie et mourir en peu de minutes, faute de respirer,
soit parce qu’il demeurera couché sur la face dans l’arrière-faix, ou parmi
des linges mouillés, soit parce que des vêtemens humides tomberont sur
lui et intercepteront le passage à l’air, ou même parce que sa respiration
attirera quelque linge vers sa bouche et vers son nez. Une malheureuse
fille qui est seule, dont l’esprit est troublé et le corps épuisé, n’aura ni
assez de force, ni assez de réflexions pour voler tout de suite au secours
de son enfant, etc. »
f: On sera frappé, sans doute, de la manière aussi sage que lumineuse
avec laquelle le docteur Hunter a traité la question de l’infanticide.
Cependant l’importance de ce sujet nous servira d’excuse, si nous nous
permettons encore quelques remarques dictées par notre intime conviction.
L ’infanticide, ainsi que Hünter en convient, doit être puni comme un
meurtre , comme un assassinat, lorsqu’il est commis avec préméditation,
avec mûre réflexion, avec l’usage complet de la liberté morale, sans
provocation urgente , et seulement par l’effet du déréglement des moeurs.
Dans ce cas, il faut remercier le législateur de prendre sous sa protection
l’enfant sans appui et sans défense.
Il semble, au premier aperçu, que l’établissement des hospices d’enfans
trouvés a , en quelque sorte, pourvu à la conservation de l’existence de