
encore une connoissance à part, que l’on ne peut acquérir que par une
longue étude et par des rapprochemens multipliés. Cela suffit pour
faire voir à nos lecteurs qu’en portant un jugement sur les malfaiteurs,
nous prenons pour base , non l’irrésistibilité des actions, mais l’organisation
et la nature de l’homme.
Quelques-uns de nos adversaires ont affirmé que nous avions enseigné,
au moins en Allemagne , l’irrésistibilité des actions, et que la douceur et
la piété des François nous ont seules rendus plus circonspects.
Nous estimons trop notre doctrine pour la changer ou la mutiler en
faveur des préjugés ou des opinions d’un peuple quelconque. Nous né
parlons et n’écrivons ni pour les Allemands, ni pour les François seuls.
Comme observateurs de la nature', notre dessein est de présenter et de
défendre une doctrine qui puisse être utile à l’homme en tous lieux, qui
soit compatible avec toutes les formes de gouvernement et avec la vraie
morale, et qui, dans tous les temps, soit appropriée aux besoins de l’humanité
, puisqu’elle est puisée dans la nature des choses. Mais nous affirr
mons en même temps que jamais nous n’avons enseigné l’irrésistibilité des
actions, et que partout nous avons professé la liberté morale. Nous avons
eu à Vienne et dans tout le cours de notre voyage des auditeurs de tous
les états ; beaucoup de religieux, de curés, de pasteurs, d’évêques, d’instituteurs.
Des princes souverains même ont daigné nous entendre exposer
les principes de notre doctrine. Aucun de ces personnages n’y a aperçu
le moindre danger pour la morale et la religion. Beaucoup de nos auditeurs
ont fait imprimer des ouvrages qui servent à justifier notre conduite
sous ce rapport.
Nos adversaires auroient-ils peut-être tant insisté à attribuer à notre
doctrine l’irrésistibilité des actions , parce que nous admettons l’innéité
des dispositions qui peuvent conduire à des actions pernicieuses? Certes!
ce seroit une chose bien triste, que l’homme fût nécessairement volenr
ou assassin. Une telle supposition auroit-elle pu manquer de rendre notre
doctrine odieuse? Mais que diroient ceux qui affectent tant de s’ériger en
apologistes de la vertu et du bonheur à venir, si on leur démontroit que,
sans penchant au mal, il n’y auroitni vertu, ni récompense, ni punition?
Car, comme nous avons déjà dit, qu’appelleroit - on liberté, si l’on ne
vouloit pas désigner, par cette expression, la faculté de choisir entre le
bien et le mal ? Si l’homme n’avoit des penchans que pour le bien, où
seroit la possibilité de faire le mal? Et, sans cette possibilité, sur quoi
pourroit-on établir l’idée de vice et de vertu, le mérite et le démérite des
actions?Celui qui ne fait pas le mal, parce que rien ne l’y invite, est certainement
digne d envie; mais il ne peut pas prétendre à la vertu, ni au
mérite des actions ’. Que sera la chasteté de ceux dont Jésus-Christ a
dit * qu’ils sont sortis eunuques du sein de leur mère ? Pourquoi tant
vanter 1 abnégation de soi-même, quand elle ne suppose pas de penchans
nuisibles qu’on est venu à bout de dompter » ? Tous les philosophes anciens
et modernes, Platon , Aristote, Cicéron, Sénèque, Pascal, Kant, ainsi
que les pères de l’église, ont fondé la notion de la vertu sur la victoire
que nous obtenons sur nos penchans vicieux ■*. Le vieillard qui a passé sa
Non virtus est, non posse peocare. Cum renunciatur improbitati, statim
adsciscitur virtus. Egressus enim malitiæ virtutis operatur ingressum. S. Am-
brosius. Posse peccare datum est primo homini, non ut proinde peccaret, sed
ut gloriosior appareret, si non peccaret, quum peccare posset. S. Bernardus,
de libero arbitr.
* S. Mathieu, XIX, 12.
Castitas est virtus subjugorationisimpetum libidinis refrenans. S.Augus-
tinus de Jinïbus.
4 Vifa nostra in hac peregrinatione non potest esse sine peccato, sine tenta -
tione : quia profectus noster per tentationem nostram fit, nec sibi quisquam
innotescit, nisi tentatus; nec potest coronari, nisi vicerit; nec potest vincere
nisi certaverit ; nec potest certare , nisi inimicum et tentationes habuerit.
S. Augusb. super psalm. 60. Caro si sale non aspergatur , quamvis sit magna
et præcipua, corrumpitur; ita et anima nisi tentationibus assiduis saliatur,
continuo resolvitur et relaxatur. Origenes, super lib. numer, et S. Chrysos-
tomus, Hom. I V de poenitentia. Nulla sine labore virtus est. S. Ambrosius in
psalm. 118. — Non est gloriosa Victoria, nisi ubi fuerint gloriosa certamina.
<S. Ambrosius de ojf. — Nulla sunt sine tentationum experimentis opéra virtutis;
nulla sine perturbalionibus fïdes ; nullum sine boste certamen, nulla
sine congressione Victoria. Léo, sermo 35 ; — etc.
II. l 7