
en traitant de la prétendue irrésistibilité des actions. Personne , au
reste, ne peut nier que, si les hommes étoient abandonnés à eux-mêmes
et aux sentimens puisés dans leur organisation, ils ne trouveroient
pas tous en eux des motifs également nombreux, et également forts pour
le bien et pour le mal, puisque tel individu est organisé plus avantageusement
et tel autre moins. Tout homme n’est donc pas libre à un degré
égal, par conséquent tout homme, lorsqu’il est question de culpabilité
intérieure, n’est pas coupable au même degré, quoi qu’il s’agisse d’une
action semblable. Le principe que, pour juger des actions d’autrui dans
l’homme sain, il faut considérer si ces actions sont conformes aux lois,
est indispensable à l’ordre social, et doit être admis pour ce qui concerne
le droit positif. Mais, dans une théorie sévère et assujettie à la précision
la plus rigoureuse, la même action peut n’étre qu’indifférente chez un
homme, tandis que dans un autre elle est l’objet d’une responsabilité
morale; la même action, par conséquent, est pour l’un un sujet de blâme
et de juste punition, et pour un autre elle ne le seroit point, si la moralité
d’une action pouvoit se fonder sur l’état de celui qui agit. Mais de qui cet
état intérieur est-il assez bien connu, pour que l’homme puisse porter un
jugement toujours équitable sur le mérite et le démérite des actions de
ses semblables ? Pour fixer le degré de culpabilité intérieure, il faudroit
avoir égard à l’organisation, à l’âge, au sexe, à la santé de la personne,
aux rapports qu’ont avec elle mille circonstances accessoires, à la manière
même dont s’exécutent ses fonctions de la vie automatique, surtout la digestion
des alimens, et à des motifs en apparence encore plus éloignés. Tout
cela n’est possible qu’à celui qui sonde les reins et les coeurs. Ainsi quoique
le juge, dans la plupart des cas, ne prononce sur les actions d’un accusé
qu’en les comparant avec le droit positif, l’intérêt social le voulant ainsi,
il s’ensuivroit néanmoins, que s'il s’agissoit d’exercer la justice dans son
acception la plus stricte, il faudroit s’en remettre à Dieu seul.
C’est pourquoi toute sage législation se propose un but auquel il soit possible
d’atteindre, et qui assure le bien des citoyens en particulier, et celui
de la société en général. Ce but est, autant que le permet la nature de
l’homme, de prévenir les crimes, de corriger les malfaiteurs, et de mettre
la société en sûreté contre ceux qui sont incorrigibles. C’est tout ce que
l’on peut exiger raisonnablement des institutions humaines.
Maintenant on demande quelles maximes conduisent immédiatement
à ce but ? Supposé qu’il n’y ait pas de penchant inné aux actions nuisibles
, il est évident, comme nous l’avons démontré plus haut, que l’existence
du mal moral seroit inexplicable; et, d’un autre côté, s’il y avoit
une liberté illimitée et absolue, il s’ensuivroit que l’éducation , la législation
, les peines et les récompenses, en un mot, que tous les motifs seroient
inutiles. Mais il résulte de notre doctrine que l’homme a des penchans
dont l’abus conduit au mal; qu’il peut, en général, abuser de chacune de
ses facultés ; que, par un effet de sa liberté morale, il peut fixer son attention
sur des motifs déterminés, et doit se déterminer d’après ceux qui lui
offrent le plus grand bien. Nous avons prouvé que la plupart des hommes
ne peuvent pas puiser en eux - mêmes des motifs suffisans ; que, par
conséquent, l’éducation , la religion , les peines et les récompenses doivent
suppléer à ce qui manque du côté des qualités intérieures; et
qu’ainsi, plus on suppose énergique le penchant intérieur à abuser de
différentes dispositions, plus on doit multiplier et fortifier les motifs qui
aident à les combattre. Alors le vicieux ne peut plus s’excuser sur la
violence de ses désirs, et il doit s’attendre que, s’il ne se dompte pas
lui-même, on lui prépare au dehors, pour le maîtriser, des motifs proportionnés
à la violence de ses funestes désirs.
Il est fâcheux que, jusqu’à présent, on n’ait pas encore assez généralement
approfondi les ressorts véritables des actions-des hommes, et
que par là on ait été contraint de considérer plutôt le délit en lui-même
que les besoins et la position du malfaiteur. Cependant tout le monde
doit sentir que les institutions de correction et de punition ne peuvent
atteindre au plus haut degré possible d’efficacité, que lorsqu’elles seront
appropriées non-seulement à l’intérêt de la société, mais encore à la
position et aux besoins des individus que l’on veut ramener à leurs
devoirs. On exige, avec raison, que les médecins adaptent leur méthode
curative , non seulement à la nature de la maladie, mais aussi à la
constitution particulière du malade.