
leur propre génie; mais si quelquefois certaines qualités restent d’abord
inactives, manque de circonstances , la force et la solidité, que montrent
ensuite ces facultés font assez juger que leur existence avoit précédé
leur action. On veut parler du hasard et de ses effets; mais n’ést-il
pas évident que , sans dispositions particulières:, les objets offerts par
le hasard n’auroient pas été saisis comme ils l’ont été, ni avec la même
énergie? Combien d’enfans sur qui les ouvrages des arts font peu
d’impression, ou que la vue de ces ouvrages ne rend pas artistes ! Vau-
canson porte une attention si forte sur l’arrangement de l’iiorloge, il
l’examine avec tant de soin, que les premiers essais qu’ il fait en ce
genre avec de mauvais outils, lui réussissent. Or ce Succès mêmeprouve
qu’il existoit un rapport entre ses facultés et les arts mécaniques. Si
l’on ne suppose pas un tel rapport, les faits que 1 on cite seroiènt inexplicables.
Combien de secrétaires perdent leurs places sans devenir
pour cela des Milton! Que de gens sont amoureux, et font des vers ; et
cependant Corneille, dans plusieurs parties de-son- art, ira point eu
encore de successeur!
Si, comme on le prétend, les circonstances accessoires, même les plus
frivoles , produisent des différences frappantes dans lés talens et les
penchans, pourquoi l'éducation, qui peut créer presque'à sôn gré Tes
circonstances, ne s’empare-t-elle point de ce nouvean moyen de former
des hommes, en rendant ce moyen indépendant du hasard; et pourquoi
se plàint-on tous les jours de ce que , malgré tant d’éta-blissemens
d’éducation, les grands hommes soient un phénomène si rare ? Nous ne
nions pas que de bons modèles ne soient d’une grande utilité, et nous
regardons l’étude decesmodèies comme une partie essentielle de l’éducation.
Mais si, comme on nous l’assure, elle suffit, d’où vient que le talent
d’Homère et de Tacite ne se reproduit point, tandis que tant d’auteurs
savent par coeur ces grands écrivains? D’où vient que les Raphaël, les
Mozart, les Haydn, etc., ont produit si peu de diseiplesqui leur ressemblent?
Et pourquoi faut-il un laps de plusieurs siècles, avant que l’on
Voie quelques grands hommes briller dans les fastes de l’histoire ?
q°. On veut encore faire dériver certaines qualités de l’influence
du climat, de la nourriture, de la boisson, et même du lait de la
nourrice.
C’est avouer, en d’autres termes, que les propriétés de lame et de
l ’esprit dépendent de l'organisation, car le lait d’une nourrice, la
nourriture, la boisson, le climat n’agissent que sur le physique de
l’homme. Cette opinion pèche encore dans un autre point, puisqu’elle
tend à confondre les causes qui modifient nos qualités, avec celles qui
les engendrent. Il est incontestable que le climat, la lumière, l’a ir, la
nourrituie , etc., ont, comme les qualités desparens et des aïeux, une
influence remarquable sur la nature, et sur les formes des hommes
et des animaux. Très-souvent la différence des formes est frappante à
une distance de quelques lieues ; de sorte que l’on rencontre dans un
endroit beaucoup de goitres et d’hydrocéphales , des yeux très-fendus,
mais à moitié fermés, dé grandes bouches très-éloignées du nez, de
petites narines, des os des pommettes très-saillans, de longues joues
pendantes, des jambes longues, grêles et maigres, des dents larges et
avancées, etc., tandis que, quelques lieues plus loin, l ’on apercevra
des formes toutes différentes. Si les distances sont grandes ; s’il s’agit de
deux pays d’une température opposée , et dont la nourriture des habi-
tans n’ait rien de semblable ; s’il s’agit surtout d’un peuple qui vive
d’une manière uniforme, et sans sé mêler avec un autre, alors la diversité
des résultats qu’auront ces influencés, sera encore plus sensible. Elle se
fèrâ remarquer dans la nature des cheveux, dans la couleur et dans les
traits du visage, et même dans la forme de la tête. Telle partie du cerveau
sera plus développée , telle autre plus comprimée. Il y aura donc aussi
une différence dans lés propriétés morales et intellectuelles-Mais il n’en
est pas moins certain que toutes ces influences ont des bornés quelles
ne peuvent dépasser. Les circonstances locales, quelque différentes
qu’elles puissent être, n’ont jamais changé, et ne changeront jamais
l’essence d’un animal, ni celle de l’homme. Elles modifient les qualités,
mais ne les engendrent pas ; elles ne peuvent anéantir ni un organe, ni
une qualité. Quel changement le lait d’une nourrice peut-il produire?
Il peut être la cause d une constitution physique plus ou moins bonne,