
« Il se manifeste fréquemment, dit-il, dans ces parties, ( dans
l’estomac et les intestins J , un sentiment de constriction , un appétit
vorace ou un dégoût marqué pour les alimens, une constipation opiniâtre
, des ardeurs intestinales qui font rechercher les boissons rafraîchissantes;
il survient des agitations, des inquiétudes vagues , des terreurs
paniques , un état constant d’insomnie ; et bientôt apres le
désordre et le trouble des idées se marquent au dehors par des gestes
insolites, par des singularités dans la contenance et les mouvemens du
corps, qui ne peuvent que frapper vivement un oeil observateur. L ’aliéné
tient quelquefois sa tête élevée et ses regards fixés vers le ciel; il parle
a voix basse ou pousse des cris et des vociférations sans aucune cause
connue; il se promène et s’arrête tour-à-tour avec un air dune admiration
réfléchie ou une sorte de recueillement profond; dans quelques
aliénés, ce sont de vains excès d’une humeur joviale et des éclats de
rire immodérés. Quelquefois aussi, comme si la nature se plaisoit dans
les contrastes, il se manifeste une taciturnité sombre ', une effusion de
larmes involontaire, ou même une tristesse concentrée et des angoisses
extrêmes. Dans certains cas, la rougeur presque subite des yeux, une
loquacité exubérante font présager l’explosion prochaine de la manie,
et la nécessité urgente d’une étroite réclusion. Un aliéné, après de longs
intervalles de calme, parloit d’abord avec volubilité ; il poussoit de fré-
quens éclats de rire, puis il versoit un torrent de larmes , et l’expérience
avoit appris la nécessité de le renfermer aussitôt, car ses accès
étoient delà plus grande violence. C’est par des visions extatiques, durant
la nuit, que préludent souvent les accès d’une dévotion maniaque ;
c’est aussi quelquefois par des rêves enchanteurs et par une prétendue
apparition de l’objet aimé, sous les traits d’une beauté séduisante ;
que la manie par amour éclate quelquefois avec fureur, qu’elle peut
prendre le caractère d’une douce rêverie, ou bien ne laisser voir que
la confusion la plus extrême dans les idées, et une raison entièrement
bouleversée » '. Un peu plus bas, le même auteur s’exprime ainsi : « Un
' De l’aliénation mentale ( 2’. édition) p. 142 , i 4^ et 148.
préjugé des plus funestes à l’humanité, et qui est peut-être la cause
déplorable de l’état d’abandon dans lequel on laisse presque partout
les aliénés, est de regarder leur mal comme incurable, et de le rapporter
à une lésion organique dans le cerveau ou dans quelqu’autre partie de
la tête. Je puis.assurer que dans le plus grand nombre de faits que j’ai
rassemblés sur la manie délirante devenue incurable, ou terminée par
une autre maladie funeste, tous les résultats de l’ouverture des corps,
comparés aux symptômes qui se sont manifestés, prouvent que cette
aliénation a en général un caractère purement nerveux, et qu’elle n’est
le produit d’aucun vice organique du cerveau. Tout au contraire annonce
dans ces aliénés une forte excitation nerveuse , un nouveau développement
d’énergie vitale ; leur agitation continuelle, leurs cris
quelquefois furibonds, leur penchant à des actes de violence , leurs
veilles opiniâtres, le regard animé, l’ardeur pour les plaisirs de l’amour,
leur pétulance , leurs reparties vives, je ne sais quel sentiment de
supériorité dans leurs propres forces, dans leurs facultés morales ; de-là
naissent un nouvel ordre d’idées indépendantes des impressions des
sens, de nouvelles émotions sans aucune cause réelle , toute sorte
d’illusions et de prestiges. On doit peu s’étonner si la médecine expectante
, c’est-à-dire le régime moral et physique, suffit quelquefois pour
produire une guérison complète » '.
Il pense enfin, avec MM. Ewrard Home, Frédéric Lobstein et
Fodéré, que les lésions organiques que l ’on découvre souvent dans le
cadavre des aliénés, 11e prouvent rien, parce qu’on les rencontre souvent
après des maladies qui n’ont rien de commun avec la manie, telles
que l’épilepsie, l’apoplexie, les convulsions, les fièvres nerveuses^
J’ai déjà répondu plus haut à la plupart des difficultés et des objections
que M. Pinel allègue dans ces passages. Nous y voyons , à notre
grand étonnement, que ce savant cherche dans le bas-ventre le siège
primitif de la manie, c’est-à-dire, en d’autres termes, qu’il place dans
l’abdomen le siège des facultés intellectuelles ; mais c’est-là une erreur
que j’ai suffisamment refutée.
' Ibidem, p. i 54 et i 55. § 157.