
objets qui les ont fait naître ne nous affectent plus immédiatement. Si
nous continuons de nous livrer sans réserve à ces sentimens ou à ces
idées favorites, il nous devient de plus en plus difficile de nous y soustraire.
La volonté finit par perdre tout son empire ; car les organes qui
sont en jeu ont acquis un tel degré d’excitabilité qu ils refusent absolument
de lui obéir. C’est ainsi que l’homme se trouve dominé par certaines
idées ou par certains sentimens.
Voilà le plus souvent l’origine de la manie partielle ( de la monomanie),
Si le cerveau n’est qu’un organe unique ; si sa masse homogène
agit toute entière dans la manifestation de chacune des
qualités morales ou de chacune des facultés intellectuelles, je ne
vois pas pourquoi, dans ces cas, l ’homme ne tombe pas plutôt dans une
manie générale que dans une manie partielle, et encore le plus souvent
dans une manie partielle absolument analogue à la nature de la fonction
exaltée.
Et que prouvent les procédés à l’aide desquels on parvient à prévenir
ou à guérir une manie partielle de cette espece ?
Du moment où les médecins s’apperçoivent que par les causes ci-
dessus,une personne est menacée d’une manie partielle, ils lui conseillent
de renoncer à ses occupations ordinaires, de se distraire ,
d’entreprendre un voyage, de se faire une nouvelle occupation favorite.
Par ce régime, les organes trop fortement irrités, trouvent 1 occasion de
se refaire, pendant que d’autres organes remplissent leurs fonctions avec
plus d’activité. J’ai fait, à plusieurs reprises, une semblable expérience
sur moi-même : dans mon enfance, j’étois somnambule ; j avois des
visions fréquentes, preuve certaine de l’exaltation de mon cerveau. Plus
tard, je me livrai avec passion à un certain genre d’études ; je ne tardai
pas à m’appercevoir que les objets dont je m’ocCupois, donnoient à mes
idées une marche exclusive; j’étois tourmenté d’insomnies; en faisant
de vains efforts pour m’endormir; quoique j’eusse les yeux fermés, je
voyois autour de moi une clarté comme en plein jour. Je sentis
que pour me tirer de cet état désagréable, il étoit nécessaire que je donnasse
une attention moins exclusive aux objets qui m’intéressoiont. Je
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me créai une autre occupation favorite; je me livrai avec passion an
jardinage, et je parvins à rétablir l’équilibre entre mes forces intellectuelles.
Jusqu a ce moment, je sens que c’est pour moi un besoin de
varier mes occupations, soit pour prévenir le retour d’une semblable
exaltation, soit pour me ménager l’égalité d’esprit, nécessaire à mes
travaux.
> Lorsque l’exaltation d’un organe est parvenue au point que son action
n obéit plus du tout à la volonté, tous les conseils que l’on peut donner an
malade sont inutiles. C’est alors qu’il appartient au médecin et aux proches
de le transplanter dans un monde nouveau de sentimens et d’idées,
et de reveiller I activité d’organes qui jusques-là étaient restés presque'
dans 1 inaction; de provoquer en lui des passions nouvelles; de lui
faire prendre un goût décidé pour des occupations qui jusques-là lui
étaient étrangères , et de donner ainsi aux organes trop fortement
irrités et affoiblis, le temps de reprendre leur ton naturel, et de rentrer
sous l’empire de la volonté.
Un homme d état fut aliéné à la suite d’une contention d’esprit
uniforme et trop long-temps continuée; il guérit par l’éloignement de
l’objet habituel de son attention, et à l’aide de distractions. Mais il se
croyoit menacé dune rechute, et il m’assura qu’il pensoit ne l’avoir
empêchée qu’en variant ses occupations.
“ Lne dame, âgée de cinquante ans, naturellement maigre, triste
très-mélancolique, avoit été sujette dès son enfance à une grande
inégalité d humeur; elle étoit fort attachée à la religion, et en snivoit
tous les préceptes à la lettre. Elle devint indifférente à ses propres
affaires, et elle ne cessoit de lire des livres de piété, dont elle altéroit
étrangement le sens..Ses idées devenant de plus en plus confuses et
constamment dirigées vers la damnation éternelle, elle se crut irrévocablement
devouee aux flammes de l’enfer, quoique sa conduite morale
eût toujours été exemplaire. Rien ne pouvoit la distraire de cette idée
et toute espérance étoit anéantie dans son coeur. Son appartement était
garni de tableaux qui lui rappeloient l’objet de sa mélancolie ; elle ne
donnoit accès qu’aux ministres de la religion, et ceux-ci tentèrent
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