
voudroient faire croire que cette conséquence n’est pas fondée. « Les
principes de la matière, disent-il, sont, de leur nature, aussi éternels ,
aussi indestructibles que la substance spirituelle; ces deux substances ne
peuvent être anéanties que par un ordre exprès de Dieu, et par conséquent
il n’y auroit rien d’absurde ni de dangereux à penser que l’ame
immortelle peut être matérielle ; l’on devroit, au contraire, admirer
davantage le créateur qui auroit uni tant de qualités à la matière, et qui
l ’auroit élevée jusqu’à la faculté de penser et de vouloir. Si l’on veut,
continuent ces philosophes, considérer l’ame et le corps comme deux
substances totalement différentes, l’on ne comprend pas plus l’action
de l’une sur l ’autre, que l’on ne comprend comment un élément matériel
peut penser; de ce que ce dernier point est au - dessus de notre
intelligence , il ne suit pas que l’un soit plus vrai que l’autre.
Voilà aussi pourquoi, disent-ils encore, l’on a regardé pendant longtemps
la pensée comme une propriété de la matière; et ceux mêmes
qui enseignent la résurrection des corps, sont également convaincus de
l’immortalité de la matière. Enfin, ajoutent-ils, on ne peut acquérir
qu’une notion très-défectueuse de la matière, et qu’une notion purement
négative de l’ame; c’est-à-dire, que l’on se représente une substance
pour laquelle on fait abstraction de toutes les propriétés connues
de la matière, et à laquelle on laisse la faculté de penser et de vouloir;
cependant la raison ne peut pas plus atteindre à l’essence de la matière
qu’à celle de l’esprit ; et par conséquent l’on ne peut raisonnablement
soutenir que l’étendue et d’autres propriétés soient incompatibles avec
l’essence de l’ame, ni que la faculté de penser soit incompatible avec
l’essence du corps ».
Nous ne répondrons point à ces philosophes. Il nous suffit que notre
doctrine n’ait rien de commun avec leurs hypothèses, ni par conséquent
avec cette espèce de matérialisme. Nous avons toujours déclaré'
que nous ne faisions aucune recherche sur la nature de l’ame et du
corps, et que nous ne voulions expliquer l’essence d’aucune de leurs
facultés. Nous nous bornons aux phénomènes. Or, nous voyons que ,!
dans ce monde, aucune faculté ne se manifeste sans condition matérielle ;.
toutes les facultés, même celles qui sont spirituelles, n’agissent que
par le moyen de la matière, et leur action ne peut être perçue que
par le moyen des organes matériels. Si l’on vouloit donc nous appeler
matérialistes, parce que nous disons que toutes les dispositions sont
innées et que leur exercice dépend d’organes matériels, il faudroit
prouver, qu en parlant ainsi, nous ne reconnoissons d’autre substance
que celle de la matière, et que nous rejetons toute autre faculté.
Lés observations qui suivent prouveront combien cette conséquence
est peu juste.
Nous appelons organe la condition matérielle qui rend possible la
manifestation d une faculté. Les muscles et les os sont les conditions
matérielles du mouvement, mais ne sont pas la faculté qui cause le
mouvement ; l’ensemble de l’organisation de l’oeil est la condition
matérielle de la vue, mais ce n’est pas la faculté de voir. Nous appelons
organe de l ’ame une condition matérielle qui rend possible la
manifestation d une propriété de l’ame. Nous disons que l’ame, dans
cette vie, pense et veut par le moyen du cerveau ; mais si l’on en conclut
que 1 âme èst le cerveau, ou que le cerveau est lame, c’est comme si
1 on disoit que les muscles sont la faculté de se mouvoir; que l’organe
de la vue et la faculté de voir sont la même chose. Dans les deux
cas, Ion confond la faculté avec les organes, et les organes avec la
faculté.
Cette erreur est d’autant plus impardonnable, quelle a été commise
et rectifiée très-fréquemment. St. Thomas ‘ répondoit de cette manière
à ceux qui confondoient la faculté et l’instrument : « Quoique l’esprit
ne soit pas une faculté corporelle, les fonctions de l’esprit, telles que
la mémoire, la pensée, l’imagination ne peuvent pas avoir lieu sans
laide d organes corporels. C’est pourquoi lorsque les organes, par un
érangement quelconque, ne peuvent pas exercer leur activité, les
onctions de l’esprit sont aussi dérangées, et c’est ce qui arrive dans la
renésie, dans l’asphixie, etc. C’est encore pour cela qu’une organi-
* Contra gentiles, c. 84, num. g.
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